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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

l’organisation préétablie de l’esprit a une importance capitale dans n’importe quel fait psychique à l’état normal, et l’état de somnambule ne détruit pas complètement ni n’interrompt même absolument cette organisation ; sûrement, pour que les éléments psychiques puissent exercer leur pouvoir de systématisation, il leur faut un terrain propice. M. Beaunis a raison de voir dans les détails du fait qu’il rapporte une expérience qui montre d’une manière tout à fait délicate le fond d’une âme, pour ainsi dire, ce qui reste quand les associations les plus superficielles ou du moins les plus instables sont détruites ou rendues latentes, mais évidemment le fait que le milieu où doit se développer le phénomêne joue un rôle important dans ce développement même, fait sur lequel nous aurons à revenir, ne diminue en rien le fait que ce phénomène aussi a un rôle considérable dans le développement auquel il donne lieu. Dans certains cas curieux la systématisation spontanée va plus loin encore. M. Richet endort un de ses amis et lui dit : « Viens avec moi, nous allons partir en ballon… Nous montons, nous sommes dans la lune ! » Et, à mesure, que je parlais, il voyait les péripéties de ce fantastique voyage. Tout d’un coup, il éclata de rire. « Vois donc, me dit-il, cette grosse boule brillante qui est là-bas ? » C’était la terre que son imagination lui représentait[1]. » On voit bien ici une spontanéité très marquée, l’esprit n’est pas passif, et à vrai dire un esprit ne saurait être complètement passif. Nous trouvons une spontanéité analogue dans certaines observations de M. Pierre Janet. Le sujet est placé dans une des phases intermédiaires de l’hypnotisme étudiées par M. Janet, les hallucinations produites sont très intéressantes ; « elles sont très complètes, dit l’auteur, et existent immédiatement pour tous les sens. Si je lui dis qu’il y a un mouton devant elle, elle le voit, mais aussitôt, sans que j’ajoute rien, elle l’entend bêler et imite son cri, puis elle le caresse et sent sa toison sous sa main[2]. » Ici encore la systématisation spontanée des éléments psychiques produit des effets que la volonté ne peut produire.

Il faut noter aussi dans cet ordre d’idées les impulsions morbides. Marc raconte, dans son ouvrage sur la folie, que passant un jour sur le Pont-au-Change et y voyant assis sur le parapet un garçon maçon qui se dandinait en prenant son déjeuner, il fut saisi du désir de lui faire perdre l’équilibre et de le précipiter dans la rivière : « Cette idée, ajoute-t-il, ne fut qu’un éclair ; mais elle m’inspira une horreur

  1. Ch. Richet. L’homme et l’intelligence, p. 180.
  2. P. Janet. Les phases intermédiaires de l’hypnotisme. Revue scientifique, 1886, 1er semestre, p. 581.