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établies, une série systématisée de phénomènes. Nous avons des exemples frappants de ce fait dans les suggestions faites pendant l’état cataleptique étudié par l’école de la Salpêtrière. Par exemple, si, comme l’avait signalé Braid[1], on dispose d’une certaine manière le bras d’une somnambule, les autres membres et la physionomie prennent une expression harmonique : si l’on approche les deux mains de la bouche, comme dans l’acte d’envoyer un baiser, le sourire apparaît sur les lèvres. MM. Charcot et Richer ont obtenu des résultats tout à fait analogues sur la physionomie[2]. On suggère de même des actes : par exemple, « dans l’angle d’une pièce la malade est placée un pied sur les barreaux d’une chaise, et les deux mains saisissant les plis d’un rideau comme dans l’état de grimper ; à peine cette attitude est-elle communiquée que la malade en un clin d’œil a escaladé la chaise et qu’on a grand’peine à la retenir et à lui faire lâcher le rideau auquel elle se tient suspendue ».

Tous les phénomènes de suggestion nous montrent une loi analogue, c’est toujours un fait qui, suscité dans un organisme où le contrôle manque à un degré remarquable, détermine, soit des images, soit des actes appropriés. M. Richet a produit ainsi des personnalités variées chez la même personne. Une fois le point de départ donné, le reste s’ensuit fatalement, par une systématisation spontanée ; une honnête mère de famille entre en plein dans un rôle d’actrice et ne le prend pas par ses plus beaux côtés[3]. On sait que la systématisation ainsi produite s’étend jusqu’à cette partie de nos actes que la volonté consciente ne règle pas en général ; l’écriture, par exemple, est modifiée[4]. Toutefois la personnalité première n’est évidemment pas complètement anéantie ; — comment le serait-elle sans que l’organisme fût anéanti ou complètement transformé ? — aussi la même suggestion peut-elle ne pas produire le même effet sur deux personnes différentes. M. Beaunis cite, en particulier, un cas où le vol d’une cuiller commis à la suite d’une suggestion par deux personnes s’accompagne de phénomènes qui, au point de vue psychique et surtout moral, varient sensiblement d’une personne à l’autre[5]. Évidemment

  1. Braid, Neurhypnologie, trad. franç. de M. Simon, P. 170 et suivantes.
  2. Richer. Études cliniques sur la grande hystérie.
  3. Richet. L’homme et l’intelligence, p. 238.
  4. Voir les expériences de MM. Ferrari, Héricourt et Richet (Revue Philosophique, t.  XXI, p. 444). L’analyse de M. Hoctès prouve, il est vrai, que cette transformation de l’écriture n’est pas complète et que le sujet interprète avec sa nature propre le personnage suggéré ; mais cela n’a rien que de très naturel et n’enlève pas sa portée à l’expérience. (Voir la Revue Philosophique, t.  XXII, p. 330.
  5. Beaunis. Etudes sur le somnambulisme provoqué, p. 192 et suiv.