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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

s’engager dans un autre système non harmonique. C’est une autre face de la loi d’association systématique. Elle se vérifie de la même maniere, c’est-à-dire qu’il faut déterminer avec précision les conditions de ses manifestations, sans quoi on serait exposé à la trouver fausse.

Sous l’influence de diverses circonstances, un fait peut quitter un système pour rentrer dans un autre. Voici un lapsus assez compliqué où ce mode d’association est très visible. Je le cite parce qu’il est authentique et curieux, bien que la nature du lapsus paraisse le condamner à paraître plutôt dans un journal amusant que dans une étude sérieuse.

Un jeune employé est chargé d’écrire une lettre à un percepteur pour l’inviter à faire « recouvrer les sommes dues » par certains contribuables. Il se met à l’œuvre. Autour de lui ses collègues tiennent des propos légers, si bien que, vaguement distrait par la conversation et combinant les deux préoccupations, il se voit sur le point d’inviter le percepteur à faire « recouvrir les femmes nues » ; il s’arrête heureusement après avoir écrit la moitié de la phrase. Qu’on remarque combien les deux phrases se ressemblent, elles ne diffèrent que par quatre lettres, une dans le premier mot, deux dans le second, une dans le quatrième, d’autre part le sens est aussi différent que possible. Il est bien évident que les éléments psychiques du second système, de celui qui était mis en activité par les propos de l’entourage, se sont combinés avec ceux qui étaient suscités par la représentation mentale des mots à écrire.

Les faits de ce genre jettent une vive lumière sur le mécanisme de l’esprit, on prend sur le fait, si je puis dire, l’activité cellulaire de l’âme ; chaque impression, chaque complexus tend à se systématiser les autres éléments psychiques, et y parvient quand les systèmes supérieurs sont définitivement ou momentanément dissous. On voit combien l’interprétation générale de ces phénomènes s’accorde avec les vues ingénieuses de M. Binet, en particulier avec son interprétation de certaines associations au moyen de la loi de fusion[1].

Mais la meilleure condition pour voir se développer cette propriété d’association systématique des phénomènes psychiques, c’est peut-être l’état de somnambulisme. Ici, en effet, toutes les associations supérieures, si elles ne sont point rompues, n’existent plus qu’à l’état latent, l’esprit est vide ; aussi une simple impression suscitée éveille sans trouble et sans obstacle, au moins dans certains cas, si l’on ne contrarie pas trop les associations anciennes et profondément

  1. Binet. Psychologie du raisonnement, pp. 94-118. Voir aussi Brochard. La loi de similarité dans l’association des idées. Revue Philosophique, 1880, t.  I.