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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

est le centre, coordinateur des actes réflexes essentiels au maintien de la vie. Si tous les centres au-dessus de la moelle sont enlevés, la vie peut continuer, les mouvements respiratoires suivre leur rythme accoutumé, le cœur continuer à battre, la circulation se maintenir, l’animal peut avaler si l’on introduit de la nourriture dans sa bouche, il peut réagir contre les impressions faites sur ses nerfs sensitifs, retirer ses membres, ou sauter gauchement si on le pince, voire même crier comme s’il souffrait[1]. » À mesure, il est vrai, que l’on remonte l’échelle animale, la systématisation des centres nerveux augmente et par conséquent leur indépendance fonctionnelle diminue.

Dans ces actes plus compliqués, dans ceux qui constituent ce qu’on entend généralement par l’esprit, la systématisation n’est pas moins évidente. Toute impression qui arrive jusqu’à l’esprit tend à déterminer en lui un travail systématique. S’il y a un fait évident, c’est bien celui-là, et cependant on ne lui a pas fait en psychologie la place qui lui convient. On a appelé des associations par ressemblance et contiguïté des actes où la finalité seule est en jeu. La reconnaissance, qui est de règle lorsque nous apercevons un objet connu ou semblable à un objet connu, est une forme continuelle de ce travail de coordination. À table la vue d’un mets dans une assiette, jointe aux tendances organiques qui résultent de l’état de l’estomac et du sang, détermine une série de phénomènes psycho-organiques aboutissant à l’acte de prendre avec la fourchette ou de couper avec le couteau. On fait intervenir ici la ressemblance et la contiguïté, mais ce n’est là évidemment qu’une classification verbale. Tous nos actes, tous nos sentiments, toutes nos idées, tous nos raisonnements sont des systèmes, c’est-à-dire des ensembles de parties liées selon une loi de finalité et d’harmonie qui leur est essentielle, sans laquelle ils ne seraient plus ce qu’ils sont. Mais ce fonctionnement systématique de l’esprit est si ordinaire qu’il passe presque inaperçu ; aussi éclate-t-il peut-être mieux quand il est imparfait, quand il aboutit à une erreur. C’est parce qu’on l’a trop négligé[2] à mon sens que je voudrais insister sur ce travail de coordination et sur la place qu’il doit avoir en psychologie générale, mais il est inutile de rester plus longtemps dans la généralité. D’autre part, je ne dois pas dissimuler ici même qu’un certain nombre de faits semblent s’opposer à ce qu’on fasse

  1. Ferrier, Les fonctions du cerveau.
  2. J’ai déjà dit que tout le monde le reconnaît implicitement. M. Spencer, M. Taine, M. Ribot, M. Richet sont parmi les rares psychologistes qui ont plus ou moins explicitement reconnu et mis en lumière la finalité psychique. Voir en particulier l’Essai de psychologie générale de M. Richet.