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après la guérison, tandis qu’il avait fallu des années pour les produire ? En quel embarras nous laissent le matérialisme et le positivisme devant de tels faits ! D’après la théorie de Ribot, les représentations devraient encore être localisées quelque part dans les cellules cérébrales. Mais de cela on ne peut se faire aucune représentation. Comment seraient-elles dans les cellules ? Serait-ce une espèce de décalque photographique des objets ?… » Bref, le positivisme de Ribot conduit à des étrangetés, dès qu’il prétend à une explication causale, et il est hors d’état de nous instruire sur la nature de l’âme.

M. Witte n’attaque pas avec moins de vivacité les représentants de la psychologie associationniste en Allemagne, qui sont Brentano, Stumpf et Lipps. La position de ce dernier serait celle, selon lui, d’un dualisme réaliste de la conscience intime, en ce sens qu’il tiendrait pour indépendants l’un devant l’autre le monde de la vie physique et celui de la vie psychique, en tant que modes de notre conscience. Je ne suivrai pas M. Witte dans les détails de sa discussion contre ces philosophes, ni contre ceux, placés au point extrême de cette histoire, qui représentent les uns, tels que Fichte, Schelling et Hegel, l’idéalisme absolu, la doctrine d’une substance de l’âme comme unité réelle et relativement constante dans le procès du devenir : les autres, tels que Fries, Herbart et Beneke, le réalisme à demi dogmatique qui fait de l’âme une chose réelle supra-sensible et un être fixe ; les derniers, soit Schleiermacher, Trendelenburg, Lotze et Harms, le réalisme scientifique pour lequel l’âme est principe de la conscience, substance psychique devenue chose réelle supra-sensible, substrat substantiel de la vie de l’esprit individuelle, ou esprit incorporé.

Harms se trouve le plus près de la pensée de M. Witte. Son plus grand tort a été de nier la conscience préempirique. En revanche il a raison de vouloir contre Kant, et M. Witte veut avec lui, avec Herbart, Beneke et Lotze, que les catégories s’appliquent à l’expérience interne comme à l’expérience externe. Wundt s’est laissé aller à cette exagération de la critique kantienne, de refuser l’usage des catégories pour les phénomènes internes, comme si l’intuition personnelle du moi empirique manquait du caractère de l’intuition sensible ! L’extension des catégories est une chose capitale au point de vue de M. Witte, parce qu’elle lui permet en définitive, conformément aux procédés logiques des théories de la connaissance, d’affirmer la qualité substantielle de l’âme et sa persistance, et nous jugerons que l’auteur a entendu donner à la métaphysique une telle portée qu’on y puisse rouvrir le chapitre de ces questions dont M. Ribot a dit que l’homme ne sait, ou ne saurait, « ni les abandonner ni les résoudre ».

Lucien Arréat.