Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
ANALYSES.witte. Das Wesen der Seele.

sont simplement les premiers phénomènes « dans le temps » de la conscience soumise à l’expérience. Dühring a raillé sans pitié la prétention de Spencer à recouvrir les phénomènes les plus complexes, les plus intimes de la vie organique et sociale avec son schématisme grossier de l’intégration et de la désintégration. On a beau jeu contre cette extension abusive faite par Spencer de l’idée d’évolution. Mais cette idée reste féconde dans le domaine particulier de la psychologie, où elle prend un sens précis, et je ne vois pas que M. Witte en infirme la valeur. Il reprend à son profit, contre la psychologie associationiste, les arguments de Lange, et il n’accepte pas même avec celui-ci des lois qui seraient purement empiriques. Car toute association, dit-il, demande du temps ; mais le temps est un facteur original, qui précède l’association, et en définitive la sensation, ce primum de la psychologie anglaise, ne devient un contenu psychique qu’en vertu d’une activité originale de l’âme et sur le terrain de la conscience « préempirique ».

Riehl, à l’encontre de Spencer, a défini le temps une synthèse de la suite et de la durée, soit une suite par rapport à un moment fixe. Cette synthèse même ne serait, selon M. Witte, qu’une expression au moyen de laquelle nous faisons claire pour notre réflexion critique le contenu de notre esprit. L’explication causale, poursuit-il, n’exige pas seulement un facteur préempirique intuitif, il lui faut un facteur « catégorial », c’est-à-dire le concept fondamental de causalité. Et ainsi il nous rappelle toujours à la critique de la connaissance et nous veut contraindre d’expliquer les données que nous acceptions « naïvement ».

Quant à Ribot, « toutes ses recherches et ses hypothèses, conclut M. Witte, contiennent beaucoup de vérité ; elles peuvent servir souvent, elles servent en effet à nous éclairer touchant les conditions physiques et psychiques sur lesquelles reposent la continuité empirique de la mémoire et même ses différents degrés d’intensité ; mais ce qu’est la mémoire essentiellement, et ce par quoi elle est possible, Ribot n’effleure pas ce sujet, malgré le luxe de son exposition, ou même, en tant qu’il se fonde résolument sur la quantité de l’expérience, il transforme en cause ce qui n’est qu’une conséquence, conformément à son erreur fondamentale d’une psychologie associationniste… Quoi que puisse d’ailleurs être la mémoire, il est en tout cas dans la puissance du moi de rapporter tous les contenus de la conscience à une unité constante antérieure à l’expérience, et avec d’autant plus de succès qu’il y est plus intéressé et affirme énergiquement son activité propre. Ainsi donc, si la mémoire suppose quelque chose, c’est une unité substantielle de la conscience, servant de fondement à toutes les expériences du moi. Sa vue matérialiste a empêché Ribot de pénétrer le véritable phénomène… Les traces et le réveil des représentations sont à coup sûr des hypothèses nécessaires, mais la chose capitale reste de savoir cela… Qui prétendrait expliquer au sens matérialiste le rétablissement, par exemple, d’une quantité de représentations anciennes, qui ont été perdues au cours d’une maladie et réapparaissent presque subitement