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luttant contre leurs privilèges a pu être encore un motif d’indulgence de la part du gouvernement espagnol. Vingt ans plus tard, nous voyons encore un professeur cartésien ardent, Van Velden, en querelle avec l’université de Louvain à l’occasion d’une thèse sur le mouvement de la terre, en appeler au conseil de Brabant de la suspension prononcée contre lui et finir par l’emporter. Il est non moins curieux de remarquer que si le nonce intervient, les évêques se taisent et ne se mêlent pas à la lutte. Aussi l’orage ne fut-il ni bien grave ni de longue durée. L’abbé Monchamp confirme la vérité de ce qu’a dit Rohault, qu’en 1671, sur seize professeurs de Louvain, il y en avait quatorze cartésiens.

« Janseniste, c’est-à-dire cartésien, » écrit Mme de Sévigné à sa fille, à propos du P. Le Bossu[1]. Cette alliance des partisans de Descartes et de ceux de Jansénius a été signalée par tous les historiens du cartésianisme français. Une persécution commune contribua sans doute à les rapprocher, mais il faut y joindre une certaine affinité entre la métaphysique des uns et la théologie des autres, qui tendent également à anéantir l’homme sous la main de Dieu. La tendance des cartésiens est de faire de Dieu l’unique cause efficiente, l’unique acteur, au dedans de nous comme hors de nous ; la tendance des jansénistes est de donner tout à la grâce, rien à notre libre arbitre ; suivant eux, c’est la grâce qui opère tout en nous et sans nous. Ce point commun a été particulièrement mis en lumière par un théologien janséniste et cartésien, le P. Boursier, dans son ouvrage de l’action de Dieu sur les créatures. Ajoutons encore que chez les uns et les autres saint Augustin est l’objet d’une prédilection particulière. En Belgique l’abbé Monchamp nous montre cette même alliance entre les cartésiens et les théologiens plus ou moins jansénistes pendant le xviie et le xviiie siècle.

Il a suivi les destinées du Cartésianisme en Belgique jusqu’à la fin du xviiie siècle. Au xviiie siècle les péripatéticiens se sont adoucis et mitigés, les luttes sont moins vives, les esprits sont plus disposés à une sorte d’éclectisme au sein duquel dominent les doctrines cartésiennes plus ou moins modifiées par le malebranchisme ou, comme dit l’auteur, par l’ontologisme de Male branche. Si l’influence de Malebranche a été grande au sein du cartésianisme français du xviiie siècle, elle ne parait pas avoir été moindre en Belgique. Dans la dernière partie de son ouvrage l’auteur passe rapidement en revue les cartésiens de cette seconde période qui nous étaient encore moins connus que ceux du siècle précédent. Il y a là matière pour un nouveau chapitre d’une histoire complète de la philosophie cartésienne. Ces cartésiens malebranchistes abondent dans toutes les parties de la Belgique ; il y en a à Liège, à Mons ; il y en a dans le clergé séculier ; il y en a dans tous les ordres religieux et même chez les jésuites. Citons les pères Taquet et Der-Kennis, dont il faut joindre les noms à ceux des rares jésuites français qui ont été favorables à Descartes.

  1. Lettre du 16 septembre 1676.