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PAULHAN.l’associationnisme et la synthèse psychique

science, car il est certain que mon état psychique peut n’être pas du tout le même que si on m’eût interrompu au moment où je lisais un autre livre ou au moment où j’écrivais une lettre. Or la coexistence de ces deux systèmes psychiques en activité suffit généralement pour qu’une certaine systématisation s’établisse entre eux, il ne s’agit pas ici d’une association par contiguïté ou simultanéité, mais d’une synthèse, comme nous tâcherons de le montrer tout à l’heure.

Restons-en pour le moment à la contiguïté de succession. L’explication que je propose me paraît absolument d’accord avec les belles recherches de M. Delbœuf sur la mémoire et les conclusions qu’il tire de ses expériences sur quelques hypnotisés. Je rappellerai ici sa conclusion. Après avoir rapporté deux expériences dans l’une desquelles le sujet avait oublié l’acte exécuté pendant le sommeil hypnotique, tandis qu’il s’en souvenait dans l’autre, M. Delbœuf ajoute : « Maintenant, quelle différence y a-t-il entre l’expérience du bonnet et celle du cigare ? Une seule, mais elle est capitale. Dans l’expérience du cigare, le dernier acte du rêve est le premier du réveil, en d’autres termes le sujet est réveillé au milieu d’une action, et l’attitude qu’il a prise n’est explicable pour lui comme pour les assistants que par la suggestion sous l’empire de laquelle il agit. Dans l’expérience du bonnet, au contraire, quand on réveille le sujet, le rêve est achevé. On a, si je puis ainsi dire, fermé la porte sur le rêve au moment d’entrer dans la réalité. Alors le sujet ne peut renouer le fil interrompu, ou du moins il n’est pas sollicité à le faire comme quand il se surprend lui-même dans une attitude étrange. Sans doute, la W… a le bonnet de M. Féré dans sa poche ; elle pourrait à la rigueur, grâce à cet indice, reconstruire la scène qui s’est passée ; et pour ma part je ne doute même pas que, dressée convenablement, elle ne pût y parvenir pour ce cas et d’autres semblables. Mais elle trouve tout aussi commode et même plus possible de supposer qu’on lui a mis cet objet dans sa poche pendant son sommeil.

« C’est ainsi que la jeune fille, à qui sous mes yeux et sous les yeux de M. Taine, M. Charcot a fait au bras une brûlure par suggestion, a pensé à son réveil qu’elle avait dû se brûler au foyer à gaz qui était allumé. Et au fond cette interprétation fausse n’est-elle pas plus plausible que la véritable[1] ? »

J’ai cité ce dernier paragraphe, parce qu’il montre clairement combien la systématisation l’emporte sur la contiguïté. Dans le premier, nous voyons nettement comment la systématisation possible est la condition nécessaire de l’association par contiguïté,

  1. Delbœuf, La mémoire chez les hypnotisés, p. 447-448 (Revue philosophique, mai 1886).