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dont on les apprécie, du besoin qu’on en a, du désir qu’ils excitent, en un mot de leur degré d’utilité, puis de la difficulté qu’on éprouve à les obtenir, de leur rareté. Cette notion très simple, formellement proposée par Burlamaqui au milieu du siècle passé, développée il y aura bientôt soixante ans par Auguste Walras[1], a été mise dans une si vive lumière par les travaux de Jevons en Angleterre et de l’excellent professeur de Vienne, M. Menger, qu’elle ne sera bientôt plus discutée. Utilité et rareté, les frais de production sont compris dans cette dernière catégorie, mais ils ne suffisent pas à rendre raison de la valeur. La valeur d’un objet offert au marché, c’est le prix qu’un acheteur veut y mettre, sans trop s’inquiéter de ce que l’objet a coûté de peine à produire, et l’acheteur proportionnera son offre aux services qu’il en attend. Pour le propriétaire lui-même, la valeur de son bien se mesure aux avantages qu’il en retire. Un meuble, un outil qui ont absorbé une quantité de travail considérable seront cédés à vil prix, s’ils sont passés de mode et si l’on a trouvé mieux.

Et comme les frais de production ne commandent pas le prix, ils n’en sont pas un élément indispensable. La terre, qui n’a rien coûté, n’en a pas moins de la valeur. Une terre inculte, pour laquelle on n’a jamais fait la moindre dépense, ne se paie pas moins à prix d’or et peut même, suivant les cas, se payer fort cher. La valeur du sol résulte simplement du fait qu’il est indispensable et que l’étendue en est bornée. Aussi longtemps que ces limites ne sont pas senties, la terre est pour rien, s’il le faut on paiera même leurs frais de transport aux cultivateurs qui viendront en défricher une partie, sachant bien que, pour donner de la valeur à tout le surplus, il suffira de leur présence. Indépendamment de toute culture, cette valeur augmentera toujours, pour la simple raison que la population tend constamment à s’accroître.

Conditionnelle à l’origine, aujourd’hui parfaite, l’appropriation du sol permet à ceux qui le possèdent et qui le louent à des prix constamment croissants dans une société progressive, de s’attribuer sans aucune peine le gain net du labeur d’autrui. Les fortunes mobilières ne sont pas toutes non plus le produit du travail, de l’épargne et du savoir-faire sous le régime de la libre concurrence. À l’origine d’un grand nombre d’entre elles nous trouvons encore l’action du Pouvoir : dons gracieux du prince, marchés passés avec l’État, fermes de l’impôt, des postes, des douanes, des droits régaliens, compagnies de commerce, banques et crédits privilégiés, concessions de canaux et

  1. De la nature de la Richesse et de l’origine de la Valeur, 1831.