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accident psychologique explicable par des causes extérieures et si l’on ne possède pas l’art de se dérober aux conséquences de ses propres opinions, on se reconnaîtra dégagé du prétendu devoir par l’évidence de cette analyse, et parfaitement libre d’en secouer le joug lorsqu’il commencerait à nous peser. L’objet de la politique nous semblerait être de rapprocher le fait du droit autant que la chose est possible dans le moment et dans le lieu de notre action ; ainsi n’ayant plus d’objet, la politique tombe avec la distinction du fait et du droit, comme d’une manière plus générale l’art disparaît quand s’éteint l’idéal. — Toute pratique suppose un idéal, la chose à faire n’est jamais un fait, l’empirisme livre toute pratique au hasard des passions. L’empirisme, c’est l’ennemi, voilà ce que nous cherchions à faire entendre.

Nous avons mis à profit l’hospitalité de cette Revue pour y établir catégoriquement, il y a trois ans, l’opposition de l’idéal et du fait à l’occasion du droit de la femme, en déduisant l’égalité des sexes, en droit public comme en droit privé, de l’idée même du droit et de la personne sujet du droit. Cette égalité, réclamée à nos yeux par un intérêt pratique, a trouvé dans l’empirisme un adversaire décidé. Il a ricané, comme de juste, mais il ne s’est pas borné à ricaner. L’empirisme sceptique et l’empirisme autoritaire sont tombés d’accord pour affirmer que la différence des vocations et des aptitudes entraînait naturellement une différence dans la condition juridique, c’est-à-dire l’assujettissement légal du sexe faible au sexe fort. Sans mettre en question les différences alléguées, sans même rechercher quelle est, dans ces différences, la part de la nature et celle de l’éducation et de la position sociale, nous avons décliné la conséquence.

« La pensée fondamentale des hommes considérables qui nous ont fait l’honneur de nous discuter, avons-nous répondu[1], savoir que, dans le traitement des individus, la loi doit s’inspirer des différences naturelles, est le principe générateur de l’esclavage, tel qu’il est déjà magistralement développé par Aristote. La nôtre, suivant laquelle il convient au législateur de considérer essentiellement l’idée de la personnalité morale, pour en consacrer les suites logiques par une sanction, en laissant les différences naturelles s’affirmer, se déployer et produire leurs effets sous la protection du droit commun, nous semble résumer assez simplement la doctrine de la liberté. »

Notre thèse était donc simplement que la femme est une personne, et qu’ayant des devoirs, elle a des droits, qu’elle existe pour elle-même

  1. Le Droit de la femme, 4e édition, Appendice, p. 96.