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BINET.le problème du sens musculaire

certains cas, une abolition du sens musculaire. Mais on ne doit pas oublier qu’il existe plusieurs espèces de coordinations, et en tout cas deux types extrêmes ; si le premier est quelquefois conscient, le second est toujours inconscient.

Le premier genre de coordination consiste à combiner ensemble divers mouvements pour produire un acte. Cette coordination est sous l’influence de notre volonté ; celui qui apprend un exercice physique, comme la natation, l’escrime, la danse, ou un art manuel quelconque, apprend à associer ensemble un certain nombre de mouvements. Il est clair que, pour former ces associations de mouvements, il faut connaître à chaque instant, par la vue ou autrement, la position de ses membres et l’amplitude du mouvement accompli. La perception de nos mouvements est nécessaire à leur coordination volontaire, au moins au début.

Mais il existe une autre coordination, qui échappe à notre volonté et à notre connaissance : c’est la coordination des contractions musculaires en vue de produire un mouvement. Cette seconde espèce de coordination est une opération mécanique qui s’accomplit en dehors de notre esprit ; nous ignorons complètement lorsque nous levons la main quels muscles il faut mettre en jeu.

Trousseau faisait même à cet égard une observation assez ingénieuse, que M. Joly a rappelée récemment. Prenez, dit-il, une personne intelligente, mais ignorante de l’anatomie de la main, et demandez-lui où est le siège de la flexion et de l’extension des doigts. Elle le placera dans la main (où ces actions se terminent), jamais dans l’avant-bras (où elles commencent). Ainsi, lorsque nous exécutons un mouvement, ce que notre volonté commande et ce que notre esprit perçoit, c’est le résultat final, l’effet d’ensemble, rien de plus. La coordination simultanée et nécessaire des contractions musculaires n’est pas une opération psychologique.

Il faut donc poser des limites au problème que nous agitons ; nous n’avons à rechercher qu’une chose : par quel procédé un sujet normal acquiert les notions nécessaires à la coordination volontaire des mouvements qu’il exécute.

Le premier et le plus simple moyen d’information est celui de la vue. Lorsque l’individu a les yeux ouverts et fixés sur son membre en mouvement, il est informé, par sa perception visuelle, de la position occupée par son membre et de l’acte qu’il exécute. S’il écrit, la vue de sa plume lui apprend à chaque instant, et avec une précision parfaite, la lettre qu’il vient de tracer. La vue n’est pas seulement le témoin du mouvement, elle en est aussi, et par voie de conséquence, le régulateur ; elle le précise, le rectifie, le corrige.