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ANALYSES.th. de régnon. La métaphysique des causes.

sur les causes. Il a procédé d’une façon à la fois plus intéressante et plus profonde en recherchant dans Aristote les principes de la métaphysique scolastique. Aussi fait-il de nombreuses citations du Philosophe qui témoignent d’une étude patiente et approfondie. Ces textes, qui, isolés, paraissent obscurs, sont éclaircis par les développements qu’ils ont reçus dans la suite et servent eux-mêmes à déterminer le sens exact des théories auxquelles ils ont donné lieu. Ceux qui ont entrepris de restaurer la scolastique et de lui rendre dans le développement de la pensée contemporaine la place qui lui est due, feront bien de prendre exemple sur le P. de Régnon et de se souvenir que presque toutes les théories des grands métaphysiciens du moyen âge sont des développements de la pensée d’Aristote, et par suite que seule l’étude du texte du philosophe permet de bien entendre ces théories et de leur donner la plénitude de force et de sens qu’elles ont souvent perdue en passant à travers les commentateurs subséquents. On comprendra mieux les ouvrages d’Albert le Grand et de saint Thomas en étudiant les œuvres de leur Maître incomparable qu’en lisant les commentaires de leurs disciples trop subtils.

La méthode dont s’est ici servi le P. de Régnon est donc la méthode scolastique, qu’il renforce, grâce aux textes d’Aristote, de la méthode péripatéticienne. On sait en quoi consiste cette dernière méthode. Puisque la métaphysique est la science de l’être en tant qu’ètre, les principes de cette science peuvent être découverts dans l’analyse de quelque être que ce soit. Tout être, par le fait seul de son existence, porte en lui et peut servir à manifester les lois essentielles de l’être. Comme le dit quelque part le P. de Régnon, un grain de sable contient en lui l’ensemble des vérités métaphysiques. Pour découvrir donc les lois essentielles de l’être, il suffit de considérer un être quelconque et de distinguer ce qui en lui est particulier et ce qui est universel. Les lois universelles ainsi obtenues par analyse sont les lois ou principes de la métaphysique. Le métaphysicien opère donc à la façon du physicien qui, dans un seul phénomène, découvre les lois de tous les phénomènes de même nature. Seulement, tandis que le physicien cherche et découvre par analyse l’universel phénoménal, le métaphysicien cherche et découvre l’universel de l’être. La métaphysique ne diffère de la physique que par l’extérieur de sa méthode et par son objet.

Grâce aux analyses constantes opérées par Aristote au début de chacune de ses recherches, sa métaphysique évite le formalisme et le vide abstrait qui s’est trop souvent manifesté dans les œuvres de la scolastique, surtout à partir du xve siècle. Même les plus grands docteurs du moyen âge n’ont pas évité cette apparence fâcheuse et voici pourquoi. S’étant préparés à la métaphysique par le commentaire des textes du Philosophe, ils prennent pour points de départ les principes qu’il a posés et se contentent d’en déduire logiquement les conséquences. Il semble donc qu’ils admettent comme des vérités évidentes par elles-mêmes les principes d’Aristote et peut-être même ont-ils cru qu’Aristote cher-