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calibre par l’aorte et par toutes les artères ». Les termes mêmes de cette belle description montrent bien qu’il n’y a là que deux degrés d’un même phénomène. La syncope est une émotion plus violente ; au lieu de provoquer une réaction après un léger temps de surprise et d’arrêt, elle frappe avec une violence qui ne permet pas cette reprise vigoureuse de la fonction[1]. Ce qui ne produira qu’une émotion simple sur une nature donnée produira une syncope chez une autre. Ajoutons avec Claude Bernard que le même résultat peut être amené par des sensations d’extrême volupté comme par des impressions très douloureuses.

Prenons donc l’émotion en général, et demandons-nous quels liens la rattachent aux phénomènes précédemment étudiés[2].

Il est des émotions auxquelles toute sensibilité est toujours prête : on sera toujours saisi par la nouvelle d’une grande catastrophe ou par l’imminence d’un péril physique. Il en est d’autres qui supposent un certain état mental particulier ; mais, dans les deux espèces de cas, l’émotion semble liée très étroitement au besoin, qu’il s’agisse des besoins fondamentaux, permanents, universels de l’être humain, ou des besoins propres à telle ou telle personne dans un moment donné de sa vie.

Et, en effet, c’est quand un besoin se manifeste d’une manière plus pressante que nous sommes plus accessibles et plus sensibles aux émotions. N’est-ce pas quand nous avons faim que nous sommes plus faciles à émouvoir, soit agréablement par la vue, le parfum et

  1. Kant, dans son Anthropologie, fait de même une distinction entre les émotions sthéniques et les émotions asthéniques.
  2. Tout se passe-t-il, dans l’émotion, entre le cœur et le cerveau ? Ces deux organes sont-ils les seuls intéressés dans les mouvements que l’émotion provoque ? Évidemment non. Il est impossible que deux organes aussi importants soient affectés, sans que le contre-coup s’en fasse sentir dans presque toutes les fonctions de l’économie. Mais comme l’ont fait remarquer presque tous ceux qui se sont occupés de la question, ce sont les organes déjà malades ou affaiblis qui sont les plus atteints par les suites du trouble général. C’est ainsi qu’une émotion de même nature produira chez dix personnes dix effets de nature différente. Elle rendra l’un sourd, l’autre muet, paralysera le mouvement chez celui-ci, provoquera chez celui-là un commencement de diabète. Tantôt elle arrêtera complètement les fonctions digestives et l’appétit ; tantôt (même si elle a été douloureuse) elle développera une faim extraordinaire (voyez de très nombreux exemples dans Hacke-Tuke, L’esprit et le corps, notamment pour le dernier fait cité, pages 103 et 104 de l’édition française, 1 vol.  in-8o, J.-B. Baillière ; voyez encore l’ouvrage déjà cité de Mosso). L’émotion rend aussi plus accessible à l’épidémie régnante. On pourrait continuer longtemps énumération. Il sera plus exact et plus philosophique de dire simplement : Point de maladie, locale ou générale, qui, lorsqu’elle est préparée par quelque faiblesse ou quelque diathèse, héréditaire ou autre, ne puisse faire explosion sous le coup d’une émotion quelconque. Le choc moral agit comme le choc physique du traumatisme qui est si souvent le point de départ de quelque grave maladie.