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JOLY.la sensibilité et le mouvement

moins vif. Une dissonance ou une fausse note au milieu d’un morceau de musique ou simplement une détonation inattendue produisent aussi une émotion sur le système auditif, comme une mauvaise odeur en produit sur le système olfactif, etc. Il n’est pas difficile de voir l’analogie qui existe entre ces états et celui que provoquent dans le moral une nouvelle bonne ou mauvaise, un affront immérité, le manque de respect d’un inférieur, la découverte d’un secret, l’arrivée d’une personne aimée ou haïe, l’approche d’une opération douloureuse ou d’un acte important de la vie, l’attente nouvelle encore d’un résultat espéré ou redouté, l’imminence d’une résolution grave, et ainsi de suite.

Nul n’a montré mieux que Sénèque[1] la différence qui sépare ces états subits et passagers des états plus prolongés qu’entretient la passion. Il nomme les premiers des mouvements (motus) et les seconds des affections ou maladies (affectus). Il appelle aussi les premiers ictus animi ou bien encore hæ quæ animum fortuitu impellunt. Il ne méconnaît pas que ces secousses soudaines soient quelquefois les signes d’une passion naissante ; mais ce n’est encore, dit-il, qu’une première agitation à laquelle on peut s’arrêter, prima agitatio animi, ou un simple prélude, principia præludentia affectibus, distinct du mouvement violent qui peut le suivre, ille sequens impetus. Voilà bien l’origine de notre mot français, et en voilà le commentaire instructif, fondé sur une très exacte et très fine psychologie.

Tous nos lecteurs connaissent l’admirable étude de Claude Bernard[2] sur la physiologie du cœur, où il explique l’influence réciproque du cœur et du cerveau l’un sur l’autre. Cette influence se manifeste, dit-il, de deux manières, par l’émotion et par la syncope. L’une fait affluer le sang artériel au cerveau, l’autre en suspend momentanément l’arrivée et arrête ainsi pendant quelque temps les fonctions cérébrales. Mais les intermédiaires[3] sont nombreux entre ces deux états principaux, et on peut dire qu’en somme c’est toujours là d’une émotion qu’il s’agit. L’émotion proprement dite ou simple commence par surprendre et par arrêter très légèrement le cœur. De là, une faible secousse cérébrale qui amène une pâleur fugace ; « mais aussitôt le cœur, comme un animal piqué par un aiguillon, réagit, accélère ses mouvements et envoie le sang à plein

  1. Voyez le De Ira.
  2. Ch. Bernard, La Science expérimentale, 1 vol.  in-24.
  3. L’un de ces intermédiaires est la commotion. Il y en a peut-être un autre dans ce que Preyer appelle la cataplexie. Voyez le volume, traduit en français, de Mosso, La peur, 1 vol.  in-18, F. Alcan, page 152.