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velle dont la sensibilité sera revêtue au moment du réveil. Un exemple mettra ceci en évidence.

Un matin, pendant que je faisais ma toilette, je sens un léger chatouillement dans mon oreille, et, à l’instant, je me souviens d’avoir rêvé cette nuit même que j’étais agacé par une démangeaison beaucoup plus forte, que je m’étais mis à nettoyer mon oreille avec une plume, et que j’en retirais des quantités invraisemblables de matières sébacées. Ce rêve se représentait à ma mémoire tout à fait isolé. Je ne me rappelais ni ce qui l’avait précédé, ni ce qui l’avait suivi. Il est propre à nous mettre sur la voie de la réponse à la question soulevée.

Sans aucun doute, ce rêve était le produit d’une certaine excitation de mon oreille, et cette excitation avait réveillé un souvenir. Un de mes amis intimes, un professeur d’athénée, crut un temps s’apercevoir qu’il devenait sourd, et il en était vivement préoccupé. Il me fit part de ses craintes. Je lui demandai s’il était bien certain de n’avoir pas laissé s’obstruer le conduit auditif. L’idée qu’une pareille chose fût possible ne lui était jamais venue. Je lui taillai une plume d’oie dans une forme appropriée, et il se mit en devoir de dégager le canal. J’avais deviné juste. Mon ami fut débarrassé de ses appréhensions.

Chacun voit aisément la raison de mon rêve. Mais il eût été possible que le chatouillement ne se fût pas fait sentir à mon réveil, et, dans ce cas, mon rêve eût sans doute passé inaperçu. C’est cette irritation qui l’a représenté à mon esprit, parce qu’elle était commune à la périphérie actuelle et à la périphérie active dans mon rêve.

Un de mes collègues, à son lever, remarque par terre une lampe renversée. Cette vue le fait souvenir tout à coup d’un rêve qu’il vient défaire cette nuit même et dont la chute d’un corps avait été le point de départ. Il est probable que, sans la vue de la lampe, ce rêve ne lui fût pas revenu. Donc, pour qu’un rêve se représente à la mémoire, il faut que l’état affectif qui l’a provoqué subsiste ou se renouvelle en tout ou en partie pendant la veille. Il ressort de là que les rêves dont on se souvient le plus communément, sont ceux que l’on fait au moment du réveil, parce qu’ils s’entremêlent davantage avec les impressions que l’on conservera dans la journée. Le rêve est ainsi une source nouvelle de connexions. Voilà pourquoi un rêve a eu le privilège de fixer dans ma mémoire le nom de l’Asplenium. Ceux au contraire que l’on fait pendant le sommeil profond n’ont presque aucune occasion de se revivifier, parce que l’excitation particulière qui y a donné lieu n’a, pour ainsi dire, aucune chance de se représenter de nouveau. C’est le hasard et le genre même de l’excitation