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un tout continu, une étendue additionnelle à celle qu’il avait auparavant ; mais le résultat effectué ne nous présente point de contradiction, et cet accroissement, étant possible d’un volume à un autre et de cet autre à un troisième, sera toujours possible et sans limite. Enfin, comme c’est seulement notre pensée qui passe de l’un à l’autre de ces volumes, dont elle sait qu’ils existent simultanément, l’étendue infinie de l’espace n’est pas moins simultanée. Personne ne contestera jamais l’impossibilité de saisir dans une intuition cette infinité achevée ; mais c’est à celui qui le tenterait que nous imputerions la faute d’essayer ce qui implique contradiction.

Je laisse au lecteur à juger si c’est moi qui confonds, comme M. Renouvier me le reproche, l’incompréhensible et le contradictoire (page 53) ; tout occupé à me reprendre de « cette habitude enracinée » de mon esprit, il ne dit cependant pas en quoi consiste enfin la contradiction dont il m’accuse. Répétant sans cesse que l’infini est impossible, parce qu’il ne peut être atteint au moyen d’une synthèse, il n’accorde évidemment la réalité qu’à ce qui peut être compris, achevé, reconstruit par notre pensée. Il trouve futiles, en revanche, toutes les remarques que j’ai faites pour essayer de déraciner l’habitude malheureusement trop répandue de prétendre savoir comment le réel est fait et d’en imiter la genèse au lieu de le reconnaître tel qu’il est. Et n’est-il pas lui-même tout à fait asservi à cette habitude ? S’il ne l’était pas, comment trouverait-il une contradiction, qu’il ne précise d’ailleurs jamais, dans cette thèse : l’infini existe quoiqu’il soit impossible que notre intuition le saisisse, et notre intuition ne le saisit pas précisément parce qu’il est infini ?

À la fin de cette réponse, je crois devoir rappeler qu’il s’agit ici d’une simple discussion académique touchant la justesse d’un théorème dont on se flatte de tirer des conséquences. J’ai nié ce théorème, qui refuse toute réalité à un infini quelconque, sans lui opposer aucune affirmation personnelle ; je me suis borné à en montrer la fausseté. Je ne veux pas fatiguer plus longtemps le lecteur ; je résume donc ce que j’ai dit concernant la méthode à suivre en de pareilles matières : toutes les fois qu’il s’agit d’un infini, il faut, pour décider la question, recourir à des arguments fournis par la nature déterminée de ce dont on parle. J’ai suivi cette règle dans mon livre de métaphysique ; mais, comme M. Renouvier n’a fait allusion à aucune des conclusions auxquelles je suis arrivé, je crois inutile d’en rapporter aucune.

H. Lotze.