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H. LOTZE. — L’INFINI ACTUEL EST-IL CONTRADICTOIRE ?

dont il donne la traduction et qui sont les seules pièces justificatives de son arrêt touchant ma doctrine, on serait bien embarrassé de deviner ce que j’ai voulu dire. Les premières lignes de ce second article m’attribuent précisément une théorie que je me suis toujours efforcé de combattre. Je ne suis pas tenu à répéter ici ce que j’ai développé dans mon livre et soumis ainsi à l’examen du public ; je me borne à le résumer brièvement.

Alors même que nous aurions attribué aux choses réelles des relations géométriques dans un espace réellement existant, ces relations, à mon avis, ne suffiraient pas pour faire comprendre la connaissance que nous en acquérons ; il faudrait en outre supposer innée, avec Kant, la faculté de l’intuition spatiale. Telle qu’elle est, cette faculté, excitée par les relations des choses qui agissent sur nous, est déterminée à créer des représentations variables qui se rangent dans un espace ; si sa nature était différente, ces mêmes conditions nous détermineraient à associer nos perceptions sous une autre forme qui ne serait plus celle de l’étendue. Je ne parle pas des efforts que j’ai faits pour établir, sur ce fondement, une théorie complète de la localisation de nos perceptions ; il me suffit de dire que j’ai été conduit à ce résultat de ne plus admettre cette réalité quelconque de l’espace, que j’avais pu accorder, comme une hypothèse, au début de mes recherches. Je ne m’explique pas comment M. Renouvier, en s’appuyant sur les fragments de mes œuvres venus à sa connaissance, est arrivé à une affirmation toute contraire et m’a désigné comme « un philosophe qui n’accepte pas la théorie kantienne de l’espace considéré comme forme et condition de la sensibilité et de l’expérience, qui veut que l’espace existe en soi, et réel… » (p. 49). Il faut convenir que ma fortune est assez singulière : en France, on me reproche d’avoir abandonné une théorie dont on m’accuse en Allemagne d’être un partisan trop opiniâtre !

Mais il y a une autre remarque plus importante à faire ici. Il est bien évident, je l’ai dit d’ailleurs à plusieurs reprises et avec toute la netteté désirable, il est bien évident qu’en prenant cette position je me mets dans l’impossibilité d’adopter la doctrine kantienne, en ce qui concerne l’opposition de ce qu’il appelle le monde en soi et de notre monde empirique. Assurément, nous savons peu de chose, et il restera toujours bien des mystères dans la nature du réel ; mais rêver une réalité tout à fait inaccessible à notre pensée, ce n’est permis qu’à la condition de se résigner à n’en tirer aucune conséquence. Kant était bien loin d’avoir cette résignation : tout en proclamant les choses en soi absolument étrangères à l’espace, au temps et à toutes les déterminations qui peuvent dépendre de ces deux