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analyses. — j. denis. Histoire des théories morales.

l’esclavage, pour ne pas reconnaître qu’au récit complaisant et chaleureux de tout ce qui honore les anciens M. Denis a mêlé, au moins autant qu’il en était besoin, une sévère critique de leurs misères morales et la peinture de leurs turpitudes. — C’est pourquoi il pouvait se dispenser de relever si vivement des objections sans valeur, aujourd’hui oubliées.

Il en prévoit une autre plus intéressante ; mais nous serions surpris qu’il fût content lui-même de la réponse qu’il y fait : « On peut me reprocher de n’avoir pas traité une question qui semble la conclusion naturelle de mon livre, je veux dire celle de l’influence des anciennes philosophies sur les origines et sur la formation de la morale chrétienne… Elle a toujours été présente à mon esprit, mais c’est à dessein que je ne l’ai point abordée en elle-même. Cette question est, à tous égards, si considérable, que je pourrais me contenter d’en dire ce que Salluste disait de Carthage : « II vaut mieux n’en point parler du tout « que d’en parler légèrement et en courant. » Il me paraît plus simple et plus digne de confesser ingénument la vérité. Quoique je n’espère rien et que je craigne peu de chose, je ne me sens pas dans une position assez libre pour toucher à de pareils sujets. Si j’acquiers jamais, d’une manière ou d’une autre, cette indépendance si nécessaire à la moralité de l’écrivain et à la foi qu’il peut et qu’il doit inspirer, je ne dis pas que je n’aurai point alors la présomptueuse folie de tenter l’entreprise. »

Mais il n’y aurait à cela ni folie ni présomption. Trop hardie peut-être en 1856, l’entreprise à présent paraîtrait à tout le monde toute naturelle. La question est mûre. Le moment est aussi favorable qu’on peut le souhaiter à toute libre recherche. La critique historique a mis le pied sur tous les domaines ; rien ne lui est interdit : et vraiment les raisons de M. Denis, qu’il y avait peut-être quelque mérite à confesser il y a vingt-quatre ans, réimprimées aujourd’hui, non seulement ne sont plus bonnes, mais nous semblent un peu injurieuses pour la France de 1880.

Les affirmations banales qu’il eût mieux valu ne pas reproduire sans preuves, sont relatives à la prétendue continuité et nécessité du progrès moral. Après tant de récents écrits sur ce sujet, après la critique de M. Renouvier[1], après les dissertations de MM. P. Janet[2], Fr. Bouillier[3], etc., est-il permis de rééditer simplement, sans discussion, ces lieux communs d’une valeur historique douteuse, d’un optimisme suspect ? « Depuis le jour où quelques braves, à Marathon et à Salamine, ont sauvé avec leur liberté les espérances de la civilisation, il y a un progrès continu… Partout la même conscience, mais se transformant, se développant, s’étendant d’une manière aussi nécessaire et aussi na-

  1. La science de la morale, conclusion ; La critique philosophique, passim ; et Quatrième essai, Introduction à la philosophie analytique de l’histoire.
  2. La morale, liv. III, chap. IX, p. 526.
  3. Morale et progrès.