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Il n’y a là aucune difficulté. Mais le second acte de souvenir réclame une analyse un peu détaillée. D’où ce mot m’est-il venu dans mon rêve ? Comme il est réel, je soupçonne que j’ai dû le rencontrer quelque part ; mais, suivant l’expression de M. Tiberghien, je n’ai pas conscience de cette rencontre. S’il était dans mes habitudes de feuilleter des herbiers ou des livres de botanique, j’aurais pu me contenter de ce soupçon ; mais le mystère, pour moi, se trouvait tout autant dans l’étrangeté de la réminiscence que dans le fait que je ne me souvenais ni de livre de botanique ni d’herbier quelconque. L’Asplenium était non seulement dans le vague, mais dans le vide absolu. Cependant — et ceci montre bien la vérité de la théorie que j’ai avancée sur l’objet propre du souvenir — le mot lui-même ne me rappelait pas le mot ancien, le mot lu autrefois, et néanmoins j’étais certain à priori que ce dernier était le même que celui que je tenais maintenant. Ce que je voulais, c’est que ce mot me remît en mémoire les circonstances où il m’avait frappé les yeux, c’est-à-dire un lieu et une date, peu importe d’ailleurs le degré de précision de ce lieu et de cette date. Mon désir visait donc à autre chose qu’au rappel du mot. Or ce que le mot n’avait pu faire, la vue de l’album le fit. Si, à l’occasion de mon rêve, j’avais songé à cet album, j’aurais fait acte de reconnaissance. Cet acte se produisit par un procédé inverse. C’est l’album qui me rappela mon rêve. Dès lors, je me sentis comme soulagé ; j’avais un lieu et une date ; je pouvais remonter par des routes connues jusqu’à la carte mentale où se trouvait inscrit à côté d’une plante desséchée le nom de l’Asplenium.

On pourrait, à l’occasion de la mémoire, rechercher comment se forme en nous l’idée du temps, et par suite celle du passé et de l’avenir. Mais ce sujet réclame une étude à part.


III. — Les habitudes.


Nous venons de traiter des associations d’idées et de la manière dont les impressions anciennes passent de l’état latent à celui de réminiscences et de souvenirs. Parmi les associations, il en est qui se distinguent par une puissance particulière et auxquelles pour cette raison on a réservé le nom d’habitudes. Au fond, toute association, même la plus faible, est un commencement d’habitude. Les habitudes sont en repos ou en exercice. En écrivant ces lignes, il y a certaines règles d’orthographe que j’applique, il y en a beaucoup d’autres que je n’ai pas l’occasion d’appliquer. À l’égard des premières, les habitudes sont en exercice ; à l’égard des secondes, elles sont en repos. Ces quelques mots font voir que les habitudes rentrent dans