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en emporte le vent. L’enfant court battre le chat, quand on vient de lui démontrer la laideur de cet acte. Il se cache pour désobéir, et cela autant pour ne pas faire de la peine aux autres que pour éviter une réprimande ; mais le respect de la loi morale n’est pas pour lui un suffisant motif d’action.

Cette loi morale s’objective toujours, il ne faut jamais l’oublier, dans les personnes qui sont en relations familières avec l’enfant et qu’il doit craindre autant qu’aimer.

Voici un exemple montrant un singulier mélange de crainte et d’obstination naïve, en même temps que l’absence de sens moral, dans l’acception psychologique ordinaire. Fernand (deux ans) fait un affreux tripotage de salive et de cendre. Son père s’en aperçoit, le gronde et lui défend de continuer ce jeu. Sa mine devient triste, du regret de ne plus continuer un amusement très attachant, mais non du remords d’avoir mal fait. IL regarde son père dans les yeux et lui dit :

« Quand tu t’en iras, dis, papa ? (Le papa avait le chapeau sur la tête, le parapluie sur le bras, prêt à sortir.)

— Pourquoi me demandes-tu quand je vais sortir ? C’est pour recommencer, n’est-ce pas ?

— Oui, papa. »

Un autre enfant du même âge far£ souvent la même question à son père : « Quand tu t’en iras ? » ou bien lui dit : « Ne me regarde pas. Il ne faut pas me regarder. » Et cela pour continuer la chose défendue. La présence de celui qui défend est un obstacle, et l’enfant ne voit que cela, au plaisir qu’il prend. Sa moralité ne va guère souvent plus loin.

La présence même de ses parents n’est un excitant pour le bien, et surtout un empêchement du mal, que lorsqu’elle s’impose sans trop de phrases. Henri (un enfant de trois ans, bien élevé), quand on le gronde, paraît toujours fort distrait, pour peu que le sermon dure ; la réprimande terminée, il fait une question à brûle-pourpoint, et reprend la série des idées, quelquefois réitère les actes interrompus par la gronderie. Ainsi se conduisent les animaux pris en flagrant délit de larcin, si l’on crie après eux, au lieu d’agir : les animaux domestiques les mieux dressés changent d’habitudes selon le caractère des gens auxquels ils ont affaire. Mais si l’on prend avec cet enfant un air sévère ou attristé, et si on lui dit simplement : « Henri me fait de la peine, » il écoute, observe le visage, réfléchit pendant deux secondes, et se montre à son tour plus ou moins affligé, et plus ou moins bien disposé à bien faire.

N’est-ce pas cette peine, directement engendrée par l’instinct de