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b. pérez. — développement du sens moral

est pas moins vrai que cette extension du jugement et cette puissance de réflexion prédisposent l’enfant à montrer des sentiments relevés qui se mêlent à la distinction objective du bien, et du mal, du permis et du défendu. Ainsi Doddy, le fils de M. Darwin, ayant, lui aussi, dérobé du sucre, son père, qui le rencontra au moment où il sortait de la salle à manger, lui trouva dans l’attitude quelque chose d’étrange et affecté, et il croit « que cette attitude devait être attribuée à la lutte entre le plaisir de manger le sucre et un commencement de remords ». On peut dire au moins que toutes ces expériences utilitaires, qui établissent un accord ou un conflit avec ses instincts et ses habitudes d’être social, mettent en relief ces sentiments moraux qui renforceront bientôt sa moralité.

Dès cette époque, deux sentiments sociaux, la sympathie et l’amour-propre, ont puissamment accru sa moralité d’habitude et ébauché en lui une sorte de conscience réelle. L’enfant, qui agit si volontiers pour se faire plaisir à lui-même, paraît agir quelquefois pour faire plaisir aux autres, et quelquefois aussi pour faire devant eux acte de personne. Il est heureux quand il a fait arrêter les larmes de sa mère, quand on a ri de ses jeux, quand on Ta loué pour quelqu’un de ses actes. Aussi obéit-il mieux, me semble-t-il, à ceux qui paraissent l’aimer le plus ou qui lui plaisent le plus, à sa mère qu’à son père. De l’âge d’un à celui de quinze ou seize mois, il semble que la crainte du châtiment ou l’influence de la réprimande agissent moins sur lui que celle de la sympathie combinée avec l’amour-propre. La joie de se faire aimer ou louer, l’ennui de déplaire ou de paraître coupable, n’est-ce pas là un rudiment des joies et des plaisirs de la conscience dite abstraite, qui, du reste, n’est pas aussi abstraite qu’on le croit communément chez l’adulte ? Il faut donc tenir grand compte, même à l’âge d’un an, de cette disposition de l’enfant à comprendre la douceur et l’approbation.

La société qui entoure l’enfant lui suggère aussi chaque jour quantité de jugements sur les actes qu’il voit faire, ce qui l’amène bientôt à apprécier de lui-même ces actes, aussi bien qu’à les imiter. Il voit les conséquences immédiates des actions dont il est témoin, la manière dont les autres se comportent entre eux, dont ils déjouent les obstacles opposés à leur activité, leurs succès, leurs méprises, leurs fautes, la récompense ou l’approbation accordée à leurs efforts, le blâme ou la punition infligée à leurs fautes : ce spectacle quotidien est un aliment incessant pour le sens moral de l’enfant. Pour que ces leçons de morale profitent, plusieurs précautions sont à prendre. En premier lieu, défions-nous de juger