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fouillée. — vues synthétiques sur la sociologie.

des révolutions dans un État, c’est une analogie de plus avec les crises et les maladies du corps vivant. Le lien organique de l’État, qui semble si lâche quand on considère un individu isolé, est assuré pour l’ensemble par la loi statistique des moyennes ; il en est probablement de même, à un moindre degré, pour le lien de l’organisme individuel. Ceux qui croient que contrat libre ou convention libre signifie arbitraire en sont restés à la vieille notion de la liberté d’indifférence ou du libre arbitre absolu ; pour nous, nous faisons consister la liberté à agir selon des idées parmi lesquelles domine l’idée de la liberté même ; et si la volonté réfléchie implique la conscience simultanée de plusieurs inclinations qui tendent à s’actualiser, de plusieurs idées qui tendent à se réaliser, elle n’implique pas pour cela le caprice, elle n’exclut point la régularité ni la possibilité de prévoir l’avenir, pourvu qu’on opère sur des nombres assez grands. Plus un homme est libre, plus il est. éclairé sur les divers partis à prendre et sur leur valeur relative, plus on peut compter sur lui. Aussi voyons-nous que, dans l’ordre social, la liberté des contrats et des conventions en assure l’accomplissement et le jeu bien ordonné, loin de le compromettre. Sans doute on ne pourrait pas former un organisme avec des libertés d’indifférence, mais on ne pourrait pas davantage former une société avec des libertés de cette sorte. Le parallèle se soutient donc entre la société et l’organisme, malgré l’introduction de la conscience et de la volonté dans le corps social. Non seulement l’organisation ne disparaît pas par la conscience, mais, au contraire, un lien nouveau vient s’ajouter à tous les autres et l’ensemble n’en offre que plus de solidité. Si vous voulez anéantir le corps d’un individu, il pourra suffire, comme dit Pascal, d’une goutte d’eau, d’une vapeur ; mais essayez de détruire le corps d’une nation libre, qui se gouverne elle-même et dont tous les citoyens ne sont soumis qu’à leurs propres lois ; vous reconnaîtrez bientôt que l’organisation se fortifie en raison de la liberté même, que plus un organisme est contractuel, plus il est vraiment organisé. La lumière intérieure rend les fonctions plus sûres et plus faciles, elle ne les entrave pas. Supposez, au sein d’une ville, une vaste place dans une obscurité absolue, où se meuvent au hasard une multitude d’hommes ; ils se choqueront, se blesseront, se tueront les uns les autres ; projetez-y la clarté, chacun suivra son chemin sans entraver autrui, la circulation s’organisera d’elle-même, d’autant plus régulière qu’elle sera mieux éclairée et plus libre.

Toutefois la conscience ne se borne pas, comme on pourrait le croire, à introduire entre les membres du corps social un lien de