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nécrologie. — m. e. bersot.


M. BERSOT


L’École normale, l’Institut, la France viennent de faire une perte cruelle : M. Bersot n’est plus. — Élève de cette École à laquelle il a donné son dernier souffle, il enseignait la philosophie au collège de Versailles, lorsque le coup d’État vint le contraindre à quitter sa chaire, car il recula devant le serment exigé. Une séparation aussi douloureuse ne l’empêchait pas d’appartenir de toute son âme à l’Université ; on le vit bien après l’effondrement de l’Empire, quand M. Jules Simon, mieux inspiré ce jour-là que ces jours-ci, l’appela à diriger l’École normale. M. Bersot fut désormais l’homme de sa tâche ; à conduire ses élèves en les excitant et les modérant tour à tour, il n’employa pas seulement tout son esprit, mais il mit tout son cœur. On écoutait ses conseils et on les suivait, parce qu’on y reconnaissait la sagesse même, et aussi parce qu’on y sentait une bonté profonde. Il veillait sur ceux qui partaient, sur ceux qui étaient déjà loin ; après leur sortie de l’école, il ne cessait de les diriger. Son bonheur, au milieu de ses souffrances, était de songer au bien qu’il faisait.

Il charmait les jeunes gens par la vivacité de sa parole, en même temps qu’il leur imposait par la fermeté et la décision de sa pensée. Jamais on ne l’entendait faire de discours ; il se passait de phrases, sachant dire beaucoup d’un mot, d’un geste, d’un regard. Cette allure libre et rapide se retrouve dans ses écrits : il ne s’étend pas en longues périodes, dans sa hâte d’être compris ; il ne s’arrête pas pour enfoncer un trait, il lui suffit d’avoir touché juste. Et pourtant que de grâce dans ce style simple et aisé ! Mais c’est une grâce toute naturelle : c’est l’enjouement, l’indulgence, la sérénité de l’écrivain lui-même. Les harangues qu’il a prononcées au nom de ses confrères de l’Institut sont académiques par la pureté du langage, non par la recherche des ornements. Ses livres contiennent assurément de fortes et patientes études ; il a pris plaisir, en particulier, à faire pénétrer le lecteur dans la philosophie de Voltaire, dont il comprenait bien la langue, puisqu’il la parlait ; cependant il inclinait plutôt vers l’action. Son amour du bien public tenait sa plume toujours prête ; et le Journal des Débats recevait depuis nombre d’années les confidences, les réflexions, les avertissements de ce philosophe, que le désintéressement ne pouvait rendre impassible. Il excellait dans la polémique, parce qu’il avait un sentiment exquis de la mesure : il ne fâchait que les sots, parce qu’il savait respecter les autres, surtout en les combattant ; il avait tous les avantages que donnent à un esprit aiguisé la tolérance, le calme et la raison.

Cette sagesse, qui semblait si aimable, était haute et grande : elle ne cessa pas d’être simple en face de la mort, d’une mort lente et terrible. Depuis longtemps, M. Bersot souffrait d’un cancer à la joue, sans espoir aucun d’en guérir jamais. Il pouvait suivre lui-même les progrès de ce mal affreux, et mesurer la distance, chaque jour plus courte, qui le