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p. tannery. — thalès et ses emprunts a l’égypte.

n’avaient guère pense jusque-là, qu’on y avait des croyances au moins aussi plausibles que les leurs. Ainsi, sans peut-être rien inventer ou imaginer réellement par lui-même, donna-t-il le branle à l’inconsciente activité qui sommeillait et mérita-t-il par là ce renom que lui décernèrent ses contemporains et que la postérité la plus lointaine s’est plu à lui conserver.

II

Vers le milieu du septième siècle avant Jésus-Christ, la reconnaissance du fondateur de la dynastie saïte ouvre l’Égypte aux Grecs et en particulier à ceux de l’Asie Mineure. Il y avait déjà huit siècles au moins que les marins de l’Archipel connaissaient les côtes du Delta. Bien avant les chants homériques[1], la mémoire de leurs pirateries était conservée par les monuments de Ramsès II. Enfin elles ont eu un terme heureux ; la soif d’aventures, la curiosité de l’inconnu n’ont plus besoin des armes ; derrière le soldat de fortune, qui vient se louer comme mercenaire, les voyageurs affluent. Ceux-là sont des marchands : Thalès vendra du sel, Platon vendra de l’huile. Contes de Plutarque, dit l’historien rigoureux ; mais c’est là le roman plus vrai que l’histoire. En fait, nous ne pouvons constater un seul voyage entrepris dans un but exclusivement scientifique.

À côté des mercenaires et des commerçants arrivent de nombreux émigrants qui fondent de véritables colonies. Des Milésiens viennent avec trente navires et établissent un comptoir fortifié. Il y a bientôt dans le Delta une caste formée par les interprètes. L’invasion pacifique s’étend sur l’Égypte entière ; il y a des Milésiens dans l’antique Abydos, des Samiens jusque dans la grande Oasis.

À quelque degré de civilisation que fussent déjà parvenus les Grecs, ils n’étaient encore que des enfants vis-à-vis des Égyptiens, comme Solon se l’entendait dire : leur curiosité avait donc beau jeu. Mais, sans aller demander l’enseignement des prêtres, sans doute malveillants en général pour ces étrangers et plus disposés à leur conter des fables qu’à faire part de leur savoir, il fut certainement bientôt facile à un Grec intelligent et séjournant suffisamment dans le pays, de faire une enquête sérieuse sur les connaissances pratiques et les opinions générales des Égyptiens. C’est au moins le

  1. Odyssée, XIV, v. 253-287 ; XVII, v. 424-441.