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sive, dès que l’on considère à quel degré sont restreintes les données que nous possédons sur les connaissances et les opinions de Thalès, et d’autre part, combien était profonde l’ignorance des auteurs de l’antiquité sur les croyances des barbares ayant trait à la philosophie.

Sans révoquer en doute l’incontestable originalité du génie hellène, il est donc permis de dire que, pour Thaïes au moins, la question reste ouverte. Si l’on veut d’ailleurs chercher à l’élucider, il nous semble indispensable de préciser avant tout, autant qu’il est du moins possible de le faire aujourd’hui, le caractère réel de l’influence exercée par les barbares sur la constitution des sciences mathématique et astronomique en Grèce. En l’absence de documents probants, c’est le seul moyen de pouvoir juger, par analogie, quelle a pu être la nature de cette influence sur le développement des premières idées philosophiques.

Nous nous proposons de tenter ici cette double étude. Il nous a semblé que les résultats des travaux de notre siècle, les points acquis dans L’histoire des mathématiques d’une part, et de l’autre, dans celle des anciens peuples de l’Orient, pouvaient mieux servir qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent à éclairer les sources de la philosophie. Quel que soit d’ailleurs le sort réservé aux thèses que nous soutiendrons, nous espérons que l’exposé des faits mis à l’appui suffira pour intéresser nos lecteurs.

Quant à nos conclusions, peut-être convient-il de les résumer d’avance. Nous essaierons de montrer que c’est vraiment aux Grecs qu’appartient la gloire d’avoir constitué les sciences aussi bien que la philosophie ; mais si l’originalité de leur génie éclate, par exemple dès Anaximandre, le véritable chef de l’école ionienne, rien ne prouve que Thaïes en particulier ait fait autre chose que de provoquer le mouvement intellectuel, que de susciter l’étincelle, en introduisant dans le milieu hellène des procédés techniques empruntés aux Barbares et en y faisant connaître leurs opinions. Ce rôle a pu être joué également par beaucoup d’autres voyageurs de son temps ; mais il fut sans doute l’observateur le plus sagace et le plus habile initiateur. Esprit d’ailleurs, semble-t-il, moins spéculatif que pratique[1], il n’a pas fait de longues études auprès des sanctuaires de l’Égypte ; mais il a profité de toutes les occasions pour s’enquérir de ce qui lui semblait utile ou curieux, et il sut apprendre à ses compatriotes qu’on résolvait à l’étranger des problèmes auxquels ils

  1. Σοφοῦ ἀνδρὸς πολλαὶ ἐπίνοιαι ϰαὶ ἐυμήχανοι εἰς τέχνας ἤ τινας ἄλλας πράξεις λέγονται, ὥσπερ αὖ Θάλεώ τε πέρι, τοῦ Μιλησίου, ϰαὶ Ἀναχάριος, τοῦ Σϰύθου : Platon, Civitas, X, 600, a.