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d. nolen. — les maîtres de kant

pher. La méthode de Rousseau nous apprend à ne pas redouter les premiers comme des maux, à ne pas nous défier des seconds comme de tentations… C’est qu’il n’y a pas dans le cœur de l’homme une inclination immédiate pour les mauvaises actions, mais bien plutôt une pour les bonnes[1]. »

Ces déclarations permettent d’apprécier le changement que la lecture de Rousseau opéra dans l’esprit de Kant. Le regard du piétiste s’était jusque-là porté de préférence et presque complaisamment arrêté sur les misères morales de la nature humaine : le disciple de Rousseau jugera désormais avec plus d’équité et de faveur les penchants instinctifs de l’homme. Sans doute, son récent optimisme, malgré l’élan de cette généreuse et confiante revendication en faveur des tendances méconnues de la nature, ne s’associera jamais complètement aux illusions de Rousseau sur la bonté native de l’homme, ni aux sévérités de son jugement sur la société. Il n’en aura pas moins appris de Rousseau à mieux démêler dans l’homme la part de l’instinct et celle de l’éducation. Il lui empruntera cette libre et large sympathie, qui confond dans un même intérêt et analyse avec une égale curiosité les conditions les plus diverses de la vie ; et sait retrouver les aspirations essentielles et la noblesse originelle de l’âme sous les vices de la civilisation et sous la grossièreté de l’état de nature.

Le philosophe qui s’égarait volontiers dans les mystères de l’infinité cosmique trouvera dans l’analyse du cœur des problèmes plus importants et plus attachants encore. Kant n’hésite pas à rapprocher l’œuvre de Rousseau de celle de Newton.

« Newton le premier a découvert que l’ordre et la régularité des effets sont associés à la plus grande simplicité des moyens, là où avant lui on ne voyait qu’une variété désordonnée, mal agencée ; et l’on sait désormais que les comètes décrivent des orbites géométriques. Rousseau, de son côté, fut aussi le premier à discerner la vraie nature de l’homme sous La diversité des formes factices qui la cachent profondément ; il a mis en lumière une loi cachée, qui lui permet de justifier la Providence par ses observations. Avant lui, l’objection de Manès était encore debout. Depuis Newton et Rousseau, Dieu est justifié, et la doctrine de Pope se trouve exprimer la vérité[2]. »

Dans la voie nouvelle où il s’engage à la suite de Rousseau, Kant va se révéler à nous comme un psychologue et un moraliste de pre-

  1. Ut supra, 615.
  2. Ut supra, 630.