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LES MAÎTRES DE KANT

(suite)


KANT ET ROUSSEAU


L’influence de Newton[1], que nous avons étudiée dans un précédent article, avait dominé presque exclusivement la pensée de Kant de 1747 à 1760. Quelques années plus tard, le renom et les œuvres de Rousseau arrivent jusqu’à Kœnigsberg. Kant est subjugué du premier coup. Les biographes se sont accordés pour remarquer que la régularité habituelle de ses promenades quotidiennes en avait été troublée pendant quelque temps ; et que le buste de l’écrivain français demeura jusqu’à la mort de Kant l’unique ornement du cabinet du philosophe.

Pour être plus tardive, l’impression que fait sur Kant la lecture de Rousseau n’égalera pas moins en profondeur et en durée celle qu’il a reçue de Newton.

De 1761 à 1762 paraissent coup sur coup la Nouvelle Héloïse, l’Émile, le Contrat social. Le succès retentissant en France et à l’étranger de ces trois ouvrages réveille l’attention sur les deux discours de 1750 et de 1753, qui avaient préludé à la réputation du penseur genevois. Kant dévore avidement les uns et les autres. La révolution qu’ils produisent dans ses idées se trahit bientôt dans son enseignement et dans ses écrits. Herder, qui fut son élève à l’Université de 1762 à 1764, a consacré dans une page demeurée célèbre le souvenir des leçons qu’il entendit alors :

« J’ai eu le bonheur de connaître un philosophe, qui était mon maître. Il était alors dans tout l’éclat de son génie ; son esprit avait la vivacité et la gaieté de la jeunesse, et les a gardées longtemps, je crois, en dépit des années. Sur son front ouvert et fait pour la pensée, la sérénité et la joie avaient établi définitivement leur demeure. De ses

  1. Voir la Revue, tome VIII, p. 113.