Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/214

Cette page n’a pas encore été corrigée
204
revue philosophique

et non ce qui doit être ; j’ajoute qu’elle est moins une métaphysique qu’une introduction à la métaphysique, un essai pour déterminer ce qu’on pourrait appeler la logique de la nature. L’abstraction donne la loi et non la cause, le mode d’action de l’être et non l’être même[1]. La notion de substance, dit M. Vacherot, n’est que la synthèse opérée par l’entendement des phénomènes donnés par l’expérience. Ainsi la chimie montre un corps tour à tour à l’état solide, liquide et gazeux ; l’entendement réduit ces trois phénomènes à l’unité et affirme par cela même qu’ils forment une série d’états qui s’enchaînent dans leur succession, que le troisième était virtuellement contenu dans le second, qui Tétait dans le premier. L’entendement additionne ces trois états, en forme un tout ; soit ; mais de quel droit transforme-t-il cette unité de série et de nombre en une unité d’être et de substance ? De quel droit affirme-t-il que le premier terme contenait le second et le second le troisième en puissance ? En un mot, de quel droit transforme-t-il la succession en causalité ? L’abstraction, qui n’ajoute rien aux phénomènes, ne peut dégager que leurs rapports constants ; elle ne peut atteindre la puissance et la virtualité, la cause et la vie ; elle s’en va finir à une idée figée, inerte et sans force, à l’idée générale d’être, la plus vide, la plus indéterminée des idées, notion immobile que nous ne pouvons transformer en la notion de devenir et qui pour créer le monde ne nous laisse pas même la ressource du mouvement[2].

M. Vacherot s’est-il rendu compte que sa méthode d’abstraction l’amenait à éliminer de la réalité la réalité même, ce qui fait le mouvement et la vie, pour ne garder que le cadre dans lequel la nature s’agite et compose le grand tableau de l’univers ? Je ne le pense pas. J’ajoute que cette accusation a dû le surprendre, parce qu’il songeait en l’écoutant à la seconde philosophie qui dans son système est juxtaposée à la première et qu’il y renvoyait en toute sécurité ses contradicteurs. — La substance n’est pas l’être immobile et mort ; c’est la puissance, c’est la vie ; l’être infini, c’est la cause efficiente, c’est l’activité toute féconde qui se manifeste en des créations toujours nouvelles sans s’épuiser jamais ; l’être infini, c’est le mouvement dans l’espace, c’est la vie dans l’être animé, c’est la pensée dans notre esprit. N’ai-je pas affirmé le progrès, la marche indéfinie

  1. « Le fond, l’essence intime des choses n’est point un objet caché, impénétrable à l’œil réduit à n’apercevoir que des apparences ; c’est le côté des choses qui se dérobe à l’imagination et à la sensibilité pour ne se révéler qu’à la pensée. » (P. 238, t. II) C’est là ce qu’aucune expérience, ce qu’aucune analyse ne peut établir, le principe à priori qui est la raison même.
  2. Sur cette critique, voyez l’article publié par M. J. Lachelier dans la Revue de l’instruction publique, juin 1864.