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Toute proposition vraie est un jugement général : réciproquement, il n’y aura d’erreur que dans l’ordre des généralisations. — Cependant la proposition je pense n’est point une proposition générale, et pourtant elle est vraie ! — M. Brochard répond qu’on ne peut donner le nom de vérité à une proposition qui ne porte que sur un phénomène actuel affirmé en tant que phénomène. Les sceptiques nient la vérité : aucun d’eux n’ose nier la réalité phénoménologique du paraître.

Il faut alors abandonner le premier postulat des dogmatiques, relatif à la vérité. Qu’adviendra-t-il des deux autres ?

Pour le savoir, il faut étudier la croyance. Qu’est-ce que croyance ? Qu’est-ce que certitude ? Il est de sens commun que la croyance peut s’appliquer à autre chose qu’à la vérité. D’autre part, à qui n’arrive-t-il point de commettre des erreurs nombreuses et de les considérer comme vraies, au moment même où il les commet. Donc l’état de certitude est indépendant de la vérité de la chose pensée, et dès lors il ne diffère plus de l’état de croyance. En fait, ce n’est point parce que les choses sont évidentes qu’on y croit, c’est parce qu’on y croit qu’on les affirme comme évidentes. L’évidence est la marque d’une croyance qui s’obstine : loin d’être un caractère inhérent aux choses pensées, comme le soutiennent les dogmatiques, elle est un caractère dépendant dans une large mesure de l’état du sujet qui affirme.

L’homme n’est pas un entendement pur ; il est intelligence passion, volonté. Or, s’il est des synthèses qui s’imposent à son esprit, à sa pensée, il n’en est aucune qui s’impose à sa croyance. La preuve en est dans l’existence même du scepticisme. Le scepticisme n’est qu’une forme de la paresse : on ne croit point parce qu’on ne veut point croire, parce qu’on se refuse à faire de son entendement un usage légitime et raisonnable.

De cette manière d’entendre la certitude, il semble résulter qu’on peut croire tout ce que l’on veut et qu’il n’est pas, à proprement parler, de critère du vrai. D’abord on ne peut admettre que ce critère soit l’évidence, puisque l’évidence est un caractère qu’il ne faut plus attribuer à l’objet pensé. D’autre part, si les synthèses dites nécessaires ne le sont qu’au regard de la pensée et de la pensée seule, il faut avouer que cette nécessité, seul critère possible du vrai et qui ne peut dépasser les limites de l’entendement, pèsera d’un bien faible poids dans la balance si la volonté lui refuse son adhésion. Or, si, en fait, la volonté ne la refuse pas toujours, en droit elle peut toujours la refuser. L’existence du scepticisme en est une preuve singulièrement frappante. Les sceptiques ont l’entendement façonné comme nous l’avons tous : ils pensent avec les mêmes catégories, ils reconnaissent que certaines affirmations s’imposent à leur pensée, mais ils refusent de se soumettre à ses légitimes exigences. Ce refus d’adhésion est donc possible.

Reste à se demander s’il est moral. Ne sommes-nous pas tenus mo-