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société démocratique. On pourrait dire qu’il se propose de convertir le naturalisme à l’idéalisme. On le voit, la tentative est nouvelle, intéressante, et on ne peut que souhaiter que l’auteur la conduise à bonne fin et transforme tous nos positivistes en idéalistes sans le savoir.

Maintenant les amants obstinés de l’idéal s’y laisseront-ils séduire ? Je ne sais trop. Pour ma part, il me paraît très difficile de faire tenir l’absolu moral dans un monisme quelconque et, à fortiori, dans un monisme immanent. En premier lieu, dans toute conception terrestre et temporelle, il est nécessaire que la valeur d’un acte dépende de ses conséquences ; le présent ne relève que de l’avenir. Or l’avenir recule sans cesse. Tout critérium manque pour qualifier absolument les actes et les caractères ; car le drame humain, recommençant toujours, n’a pas de dénouement, à moins qu’on n’appelle ainsi la fin naturelle de l’organisme, l’immorale mort. Autrement dit, si la fin générale de l’évolution humaine peut être proposée à chaque personne comme bonne en général, elle ne peut lui être présentée comme bonne absolument. En second lieu, dans toute conception monistique, tout le possible est réel, puisque rien ne gêne l’unique principe à l’œuvre ; et précisément le devoir postule la non-réalité de certains possibles. Si maintenant on veut accorder, ce que Kant a démontré, — à ma connaissance, que le réel n’est autre chose que l’intelligible, il suit de l’affirmation pleine et entière du devoir qu’il y a du mystère dans le monde, et que la contemplation du monde doit nous remplir d’une horreur religieuse. Et en effet la religion, en son essence, est le tressaillement de l’âme en face de l’invisible ; elle accompagne la conscience des bornes de notre pensée. Mais c’est précisément à ces limites que commence l’empire de l’idéal moral. Il semble donc qu’il soit difficile de détacher la foi morale de la foi religieuse, et d’appuyer le devoir sur un phénoménisme scientifique quelconque. La morale, ou, si l’on aime mieux, la morale du devoir absolu est une doctrine transcendante.

Darlu.

V. Brochard. — De l’erreur. (Paris, Berger-Levrault, Germer Baillière. 1879.)

L’erreur est-elle une connaissance incomplète ? Autant dire qu’elle n’est qu’un diminutif de la vérité. Mais alors autant démentir l’expérience : nombre d’erreurs se commettent tous les jours qui ne recèlent aucune part de vrai.

Si l’erreur n’est pas une forme de l’ignorance, on doit réformer la théorie de la certitude généralement acceptée et proposée par les métaphysiciens antérieurs à Kant, et qui repose sur ces postulats, on pourrait presque dire sur ces pétitions de principe :

1o L’esprit est façonné pour représenter fidèlement les choses réelles.

2o Cette pénétration de l’esprit par la réalité est immédiatement