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récemment encore. Il eût marqué par là (et augmenté en même temps) l’intérêt que son livre offre aux lecteurs cultivés, au lieu de paraître s’attaquer à une opinion anonyme sans aucune valeur scientifique. Pourquoi ne mentionne-t-il pas tout d’abord deux écrivains, dont il sera à peine question vers la fin de son livre, et à qui cependant il a affaire d’un bout à l’autre ? Il nous semble que les noms de M. Maine[1] et de M. Lange[2] eussent donné plus d’autorité, plus de consistance à la théorie qu’il réfute.

Nous irons plus loin : cette théorie, selon nous, est exposée trop sèchement. L’auteur la suppose trop connue ; il se contente de la rappeler en une page. « Tous ceux, dit-il, qui ont entrepris de retracer la genèse de l’humanité, ont admis comme un axiome évident par lui-même, que les plus anciennes réunions d’êtres humains ne sauraient avoir connu d’organisation plus simple ni plus primitive que celle de la famille patriarcale. L’origine de toute société, a-t-on répété depuis l’antiquité, c’est l’agglomération naturelle des parents par le sang, composée du père, de la mère et de leurs descendants, c’est là le groupe primordial donné par la nature « au commencement des choses ». Dans cette famille, le père règne en qualité de propriétaire absolu de sa femme, de ses enfants, et des biens de la petite communauté ; à sa mort, l’aîné de ses fils lui succède et continue à gouverner la famille : bientôt, grâce aux naissances, cette association de parents s’agrandit et devient un clan (gens, γένος). Dans le cours des générations, ce clan, par l’effet de l’accroissement normal de la population, se subdivise lui-même en clans distincts, dont tous les membres, descendant d’une origine commune, se voient rattachés les uns aux autres par les doubles liens de la naissance et de la puissance paternelle. Ces clans en se réunissant forment une tribu, et plus tard (toujours par l’effet d’une série de concentrations successives autour d’un noyau originaire) les tribus, en se rapprochant, constituent une communauté politique, dont le chef (rex, βασιλεύς) descend en ligne directe de l’ancêtre des différents chefs de clans et de tribus. Ainsi se seraient formés, dans les temps préhistoriques, les peuples, les nations, simples extensions de la « famille naturelle », qui, dans cette théorie, aurait joué le rôle d’une monade, souche de l’humanité. »

N’est-ce pas exposer d’une façon bien dense, peut-être même un peu obscure, cette « leçon ancienne » contre laquelle on va donner tant de savantes raisons ?

N’importe : la thèse de M. Giraud-Teulon est nettement posée, et s’offre avec d’amples développements : c’est là le principal.

Il avoue que la famille patriarcale est déjà constituée lorsque commence l’époque historique. Mais, dit-il, « sous les pieds des peuples classiques s’étend une couche épaisse de fossiles humains, qui, pen-

  1. Maine. Ancient Law, 1861.
  2. Lange. Rœmische Alterthümer, Berlin, 1863.