Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/632

Cette page a été validée par deux contributeurs.
624
revue philosophique

(son concept, l’ensemble de ses caractères constituant une idée) et c’est cette nature immobile, absolue, qui explique, qui détermine son devenir. Le point devient ligne, le germe devient embryon, etc., l’être inorganique devient être organisé et ainsi de suite, parce qu’il y a une nature intrinsèque, déterminée, spécifique, qui les fait devenir tels, c’est-à-dire qui fait devenir le point, le germe, l’être inorganique, non un autre être quelconque, mais tel être déterminé. Il faut au devenir un plan, une direction, un but : il ne le trouve que dans l’idée. Si un beau jour le singe est devenu homme, ce n’a pas été l’œuvre du hasard, mais celle de la Nature humaine qui s’est servie des singes comme de l’animal et de la nature en général, de la même manière que l’art se sert de la matière pour produire ses œuvres. Ainsi, à comparer les espèces supérieures aux espèces inférieures, il est plus exact de dire que les inférieures sont venues des supérieures plutôt que le contraire. Car les inférieures sont faites pour les supérieures et sont par rapport à elles des moyens subordonnés, des matériaux. L’ordre successif dans lequel elles sont apparues, ne doit pas faire illusion sur l’ordre de filiation véritable. Le temps est le côté phénoménal de l’existence et ainsi n’en constitue ni le principe, ni la vérité, ni l’idée. En d’autres termes, l’avant et l’après sont des moments subordonnés de l’idée, des moments que l’idée pose par elle-même et qui reçoivent d’elle leur existence, leur signification, leur vérité (lisez réalité). À prendre les choses dans leur totalité et dans leur liaison, ce qui vient ensuite est la raison de ce qui le précède, et dès lors, le supérieur existe sinon avant l’inférieur, du moins en même temps que lui, au-dessus de lui, plus que lui. Que l’homme se soit développé à partir du singe, c’est ce qui, historiquement, n’est pas prouvé, c’est ce qui ne le sera jamais, parce que cela est impossible. Mais si l’homme est venu le dernier, on n’en peut pas moins prouver qu’il est le premier dans l’ordre de l’existence étant le produit de l’Idée, ou nature qui le fait tel qu’il est, et qui le différencie des autres espèces. Idée supérieure à toutes les autres dans le domaine de la vie.

C’est une étrange pensée que de faire sortir les espèces les unes des autres à de longs intervalles comme si elles n’avaient pas pu se développer simultanément. Les oiseaux sont sortis des reptiles, dit-on ; comment ? sous l’influence du milieu. Mais alors comment se fait-il qu’ils habitent le même milieu aujourd’hui ? — Enfin, l’homme marque la limite la plus élevée de l’évolution. Cette limite est-elle immobile, ou momentanée ? L’homme ne va-t-il pas se transformer aussi ? Mais ce caractère indéfini, cette mutabilité sans limite des espèces, n’est-ce pas une application de la doctrine qui érige le chaos en principe absolu ? Le changement n’ayant point de terme, et ne souffrant point de direction de la part d’un principe extérieur, il se fera au hasard. « Si telle espèce peut se changer en telle autre, et non-seulement en telle autre, mais en une autre quelconque, la même transformation, c’est-à-dire la même indétermination se reproduira dans la constitution universelle