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Paul REGNAUD. — ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE

la façon la plus formelle et la plus claire dans les deux Upanishads qui l’emportent sur toutes les autres par l’ancienneté, l’étendue et l’originalité, nous voulons dire la Brihad-Aranyaka et Chândogya. L’universalité, l’éternité et l’identité fondamentale de l’Être s’y trouvent affirmées sur toutes les formes. Toutefois les védântins vont beaucoup trop loin quand ils veulent retrouver dans les anciennes Upanishads tous les détails secondaires qui sont venus dans la suite compléter et coordonner la doctrine. La plupart de ces détails étaient impliqués jusqu’à un certain point dans les spéculations peu systématiques des auteurs de ces ouvrages, mais il a fallu les méditations de plusieurs générations de penseurs pour en déduire et en relier entre elles toutes les conséquences.

On ne saurait pas mettre davantage en doute l’authenticité des anciennes Upanishads que celle des Brahmânas[1] eux-mêmes, auxquels elles tiennent de près, et dont elles sont, à vrai dire, les parties plus spécialement théologiques. Le style, un style extrêmement caractéristique par la grammaire, le vocabulaire, les tours et les façons de penser qui lui sont propres, en est le même, et cette considération, jointe à quelques autres de moindre importance, a fait fixer la date de la Brihad-Aranyaka et de la Chândogya Upanishads, immédiatement après celle qu’on assigne généralement aux Brahmânas, c’est-à-dire, comme nous l’avons vu, au ive ou au ve siècle avant l’ère chrétienne. L’antériorité sur les autres ouvrages du même genre et l’authenticité des anciennes Upanishads ont du reste pour garantes toute la littérature des Sûtras philosophiques qui les suppose nécessairement, et celle si considérable produite par les docteurs védântins qui les citent souvent presqu’à chaque ligne. Elles ont donc des titres aussi certains à notre confiance que les écrits de Platon ou d’Aristote, pour prendre un exemple dans l’antiquité classique.

Les Upanishads ont été l’objet de travaux qui témoignent de l’intérêt mérité que provoquent ces antiques et précieux documents. Déjà dans l’Inde, vers le viiie siècle de notre ère, le célèbre védântin Çankara expliqua comme nous le verrons plus loin, dans un vaste commentaire dogmatique et grammatical une dizaine des plus importantes. En Europe, la collection des 50 ou 52 principales Upanishads, fut une des premières parties de la littérature sanscrite dont les savants purent prendre connaissance. Ce résultat a été dû au courageux orientaliste Anquetil-Duperron, qui avait rapporté de son voyage aux Indes-Orientales une traduction persane de cette collec-

  1. Ouvrages liturgiques qui viennent pour la date immédiatement à la suite des grands recueils des hymnes védiques et dont le caractère archaïque est attesté par de nombreuses preuves extérieures et intrinsèques.