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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

les deux hypothèses spiritualiste et matérialiste doivent être rejetées, je puis résumer les considérations que j’ai déjà énoncées par quelques mots sur l’attitude morale que prennent les spiritualistes, d’une manière si peu justifiée. Les deux hypothèses ne sont pas différentes de ce que sont en politique la théorie conservatrice et le radicalisme. Elles expriment des vues partielles, elles représentent l’Ordre et le Progrès. L’organicisme prétend faire la synthèse de ces vues en montrant que le Progrès est le développement de l’Ordre. Si la force du spiritualiste et du conservateur consiste à s’opposer fermement à des explications insuffisantes et à des changements précipités, celle du matérialiste et du radical est dans ses protestations contre les préjugés et les privilèges, dans son insistance sur les faits actuels, et sur les inductions raisonnables. Mais les spiritualistes et les conservateurs sont trop portés à ajouter des menaces à leurs protestations, et à réclamer pour leur point de vue, le monopole de la pureté morale. Il est temps que le spiritualisme abandonne ses prétentions exclusives aux aspirations sublimes et aux buts idéaux, qu’il cesse de prétendre que toute autre hypothèse que la sienne est fausse, parce qu’elle est désolante. La menace que l’on nous fait, c’est que si nous n’acceptons pas l’hypothèse du spiritualisme, on croira que nous rejetons la conscience, la justice, l’amour de l’humanité, que nous rabaissons l’homme au rang de la brute, que nous bannissons du monde la poésie et la moralité. Nous devons accepter un agent extra-organique dont nous ne connaissons rien, ou bien rejeter tout ce que les hommes considèrent comme ce qui est le plus précieux, toutes ces « influences spirituelles qui font la dignité de l’existence. » L’effet de cette rhétorique continuelle est si puissant que peu de gens ont le courage d’avouer qu’ils ne croient pas à l’existence d’un agent extra-organique, et que parmi ceux qui l’avouent, beaucoup prennent une attitude également offensive, et répondent aux menaces par des épigrammes provocatrices et des paradoxes bruyants.

Si l’on examine avec calme, il est clair que ce que l’on appelle les « faits spirituels » sont en dehors de toutes les hypothèses que l’on peut faire pour rendre leur genèse intelligible. Ce fait que les hommes sympathisent avec les hommes, qu’ils souffrent quand ils voient d’autres souffrir, et qu’ils désirent alléger cette souffrance, ne serait pas modifié, quand même des preuves inductives mèneraient à la conclusion que cette disposition sympathique est un résultat de l’évolution de sentiments égoïstes. Ce fait que l’homme a des besoins moraux et intellectuels ne sera point changé, quand même on adopterait la conclusion que la nature humaine est le résultat supérieur du développement de la nature simienne. L’homme ne cesse pas d’être