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r. lépine. — les localisations cérébrales.

Le retentissement du mémoire de M. Broca fut immense. Depuis longtemps les médecins connaissaient le symptôme que présentaient les malades de Bicêtre, et, par les noms d’alalie, de paralalie, etc., le distinguaient de l’aphonie, de la mutité, de l’idiotie et de la démence[1]. Dès que M. Broca eut annoncé qu’il correspond à une lésion parfaitement localisée, on se mit avec ardeur à vérifier cette assertion, et en peu d’années on publia de divers côtés un nombre considérable de faits d’aphémie ou d’aphasie (tel est le nom qui prévalut) avec autopsie.

Pour la plupart ils confirment la doctrine de M. Broca, bien que depuis un certain temps on ait cessé de livrer à la publicité les faits à l’appui devenus vulgaires, tandis qu’on s’empressait toujours de mettre au jour les faits contradictoires, plus intéressants parce qu’ils étaient plus rares. Ces derniers (recueillis souvent avec un parti pris évident) peuvent se ranger en trois catégories :

1o Cas où, avec des lésions situées ailleurs que dans la circonvolution sus-indiquée, coexiste une prétendue aphasie.

2o Cas où, avec des lésions situées ailleurs que dans la circonvolution sus-indiquée, coexiste une aphasie vraie.

3o Cas de destruction de la partie antérieure du cerveau, sans trouble du langage.

Examinons brièvement ces trois catégories :

1o Il est certain que dans les premiers temps qui ont suivi la découverte de M. Broca, quelques personnes peu habituées à une analyse psychologique, même élémentaire, ont considéré comme aphasiques des malades amnésiques ou déments. Rien d’étonnant qu’ils n’aient pas rencontré la lésion qu’ils cherchaient à tort.

2o Relativement aux cas d’aphasie avec lésion des parties profondes du cerveau, je ferai observer que si la lésion siége sur le trajet des fibres qui, de la troisième circonvolution, gagnent les nerfs de la langue et si elle en interrompt la continuité, elle équivaudra strictement à une lésion de la circonvolution elle-même. Dans ce cas, le fait loin de contredire la règle, la confirme, pourvu qu’on veuille bien l’interpréter exactement.

Quant aux faits qui ne peuvent être expliqués de cette manière, je me bornerai à rappeler l’erreur, post hoc, ergo propter hoc.

  1. Voyez notamment : J. P. Frank, De alalia et aphonia, dans son Traité de médecine pratique ; Reil, De vocis et loquelœ vitiis. Hallæ, 1795. J. Frank, Praxeos medicœ… Lipsiæ, 1823, t. V, p. 44. Pinel, Traité de l’aliénation mentale, 2e édit. 1809. Goëthe l’indique en quelques traits dans Wilhem Meister, et l’illustre Lordat (de Montpellier) ; qui en avait été lui-même atteint d’une manière passagère, l’a soumis à une analyse psychologique délicate. (Analyse de la parole pour servira la théorie… Montpellier, 1843.)