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Ce qui manque dans cette théorie, c’est d’essayer d’expliquer comment l’intellect arrive à introduire un principe téléologique dans les objets qui ne doivent cependant avoir aucune cause finale. Schopenhauer a essayé de combler cette lacune d’une manière très-ingénieuse, sans cependant sortir du cadre du subjectivisme dans la téléologie. Il s’appuie sur ce que la pluralité du successif et du coexistant est également engendrée par les formes subjectives de l’intuition du temps et de l’espace, tandis que l’acte simple de la volonté ou l’idée objective, correspondant à la perception subjective comme chose en soi, est en dehors du temps et de l’espace. Si l’on veut donc maintenir une certaine corrélation intime entre les objets de la représentation et la chose en soi, il faut transporter l’unité de la chose en soi dans la pluralité des représentations, comme une sorte de rapport simple de ces dernières avec un centre idéal, qui est la cause finale.

Contre cette explication il y a trois objections à faire. En premier lieu, nous n’y trouvons pas la preuve que la forme de rapport simple introduite dans la pluralité des représentations est réellement le concept de finalité et pas un autre concept de relation. De prime abord, on serait plutôt disposé à conjecturer que l’harmonie ainsi exigée peut se manifester d’une manière très-différente et très-variée, premièrement comme unité idéale dans la variété, c’est-à-dire comme beauté, mesure, symétrie, etc., ensuite comme causalité, action réciproque, et sous beaucoup d’autres formes, parmi lesquelles se trouve peut-être aussi le rapport de finalité. En second lieu tout l’essai d’explication est réduit à néant, si l’on reconnaît comme insoutenable la théorie de Schopenhauer que l’acte concret de la volonté, déterminé quant à son contenu, ou l’idée objective, est en dehors du temps et de l’espace, et existe au-delà de la sphère de l’individuation et de la pluralité. En troisième lieu enfin, cet essai d’explication perd toute valeur si l’on admet que Schopenhauer soutient à tort que l’unité métaphysique devient pluralité tout d’abord par les formes subjectives de l’intuition dans la conscience. Frauenstaedt combattant l’existence de l’idée en dehors du temps et de l’espace, telle que cette explication la suppose, et ayant rejeté l’idéalisme subjectif comme un système faux, l’essai d’explication de Schopenhauer a perdu pour lui toute valeur positive, et je ne puis comprendre comment il peut citer les passages de Schopenhauer relatifs à cette question comme des preuves des opinions réalistes de ce philosophe en matière de téléologie. Car si l’admiration de l’harmonie des parties dans la représentation résulte seulement d’une fausse interprétation de cette harmonie par l’intellect, cela revient à dire que la doctrine téléolo-