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celui-ci identifie les choses et les objets, et de la chose fait entrer directement dans l’âme la substance et la forme de l’intuition. Par cette vérité l’idéalisme subjectif est réduit à n’être qu’un degré plus élevé dans le réalisme transcendantal, mais il perd aussi sa valeur indépendante et est anéanti à titre d’idéalisme subjectif (en opposition avec le réalisme). Cette sorte d’élimination par élévation à un degré supérieur ne peut certes plus être désignée comme une simple interprétation. Il ne peut plus être question d’interpréter l’idéalisme subjectif des écrits systématiques de Schopenhauer, d’après des velléités réalistes postérieures et isolées, mais de l’anéantir complètement, quant à ce qu’il est et prétend être, en l’élevant dans une sphère plus haute.

Si on suit cette voie, comme Frauenstaedt et Bahnsen l’ont fait on ne doit pas ignorer que, par ce seul procédé, on est déjà sorti du cadre du système fourni par l’histoire et qu’on l’a même positivement dépassé. Le tableau historique et fidèle de la doctrine de Schopenhauer doit nous la présenter telle qu’il l’a exposée lui-même dans un enchaînement systématique. Les contradictions qui s’y trouvent doivent être respectées comme un fait historique et on a simplement le droit d’y ajouter l’observation que plus tard Schopenhauer a montré çà et là des velléités réalistes, qui n’ont jamais pris une forme consistante et dont il n’a nullement aperçu les conséquences inévitables pour son système, Aucun historien n’aura jamais l’idée de vouloir reconnaître uniquement la 1er ou la 2e édition de la Critique de la Raison pure de Kant comme authentique ; mais il cherchera à présenter d’après les œuvres complètes de ce philosophe un tableau complet de sa doctrine, en y laissant les contradictions manifestes qui s’y trouvent. Déjà, dans le cadre de la 1re édition de l’ouvrage principal de Schopenhauer, nous voyons que l’idéalisme subjectif est en contradiction avec les autres parties du système (le réalisme métaphysique de la volonté, l’idéalisme objectif et la théologie réaliste, le matérialisme et la pitié à l’égard des autres individus). Mais ce fait ne peut pas fournir un prétexte pour éliminer l’idéalisme subjectif comme incompatible avec la véritable opinion de Schopenhauer, ainsi que Frauenstadt le demande à l’endroit déjà cité plus haut[1]. Surtout on ne peut plus voir dans une apologétique se rapportant à un système si profondément modifié un véritable essai de justifier Schopenhauer des contradictions et des inconséquences que ses adversaires lui reprochent à juste titre, dût cette transformation être parfaitement juste si on la considère seulement au point de vue doctrinal.

  1. Comp. Frauenstaedt « Nouvelles lettres sur la philosophie de Schopenhauer, » (Leipzig, 1876), p. 105.