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inculquée par une longue éducation ? Vous voyez par là qu’il est impossible de tracer purement et simplement une ligne de démarcation entre nos appétits élevés et grossiers. D’un autre côté il ne suffirait pas non plus, comme beaucoup font fait, d’opposer aux appétits sensuels, une volonté raisonnée, un désir intelligent (prudence). Le nombre de gradations est beaucoup plus grand, et ensuite. le degré d’énergie de la volonté ne dépend pas précisément de la valeur et de l’élévation plus ou moins grande de nos sensations et de nos sentiments.

La volonté humaine est le produit d’un développement graduel, d’une végétation morale. Nous avons donc certainement déjà le droit de désigner le cas, où entre deux appétits sensuels nous suivons résolument l’un et réprimons l’autre, comme un degré un peu [dus élevé du développement de la volonté, en comparaison de l’indécision de l’enfant qui veut accepter tous les objets imaginables pour une petite pièce d’argent reçue. Maintenant nous allons chercher à connaître de plus près cette marche du développement de l’activité volontaire, cette naissance de la volonté réfléchie, en considérant attentivement les différentes phases de ce processus.

Arrêtons-nous encore un instant à l’exemple donné plus haut, nous verrons de suite que si le fruit excite notre appétit, c’est parce que notre mémoire nous en rappelle la saveur. Voilà, comme nous le savons déjà par ce que nous avons dit précédemment, un point très-important, car ignoti nulla cupido ; le souvenir marque une phase très-importante dans l’histoire du développement de la volonté. Dans d’autres cas une simple réminiscence ne suffit pas ; pour que nous éprouvions un désir, il faut que la jouissance soit d’abord devenue une habitude, comme par exemple quand il s’agit du plaisir de fumer. C’est là aussi une phase du développement de la volonté que nous rencontrerons souvent. Si donc nous voulons connaître toutes ces phases dans leur enchaînement naturel et organique, il faut mettre sous nos yeux un exemple convenable qui nous permette de voir le processus par où nous passons, quand nous prenons une résolution décisive d’une certaine importance. Tous les exemples ne nous conviennent pas, car la plupart de nos résolutions nous sont dictées d’avance par l’habitude, la coutume, les usages, etc. La résolution, par exemple, de faire un voyage en été est devenue, pour quelques-uns d’entre nous, une chose tellement naturelle qu’il ne peut être question ici d’une résolution formelle. Il en est autrement pour ceux que leurs affaires ou leur profession empêchent de s’absenter dans tout le cours de l’année, à qui leur situation pécuniaire ne permet pas de si grandes dépenses de luxe et qui par conséquent ne songent