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a que deux directions des phénomènes de conscience, l’une du dedans au dehors, qui est celle des désirs et des volontés, l’autre du dehors au dedans, qui est celle des faits de connaissance ; or comme les phénomènes sensibles ne rentrent ni dans l’une ni dans l’autre, ils ne sauraient être des phénomènes réels. Que sont-ils donc ? rien qu’un passage, un rapport d’un phénomène à un autre, et non un véritable état de conscience.

De toutes ces raisons, pas une ne nous persuade. Sans doute le plaisir et la douleur ne sont pas des perceptions d’une espèce particulière, mais ce n’est pas à dire qu’ils ne soient pas des faits très-réels d’un autre ordre. Il est vrai encore qu’ils ne se produisent jamais à part et isolés au sein de la conscience, mais il en est exactement de même de tous les autres phénomènes de la vie de l’âme qui s’accompagnent tous les uns les autres, qui tous sont complexes. Il n’y a pas une seule volition sans un mode de connaissance, pas plus qu’il n’y a, selon nous, un seul mode d’activité qui ne soit accompagné de sensibilité. S’il est vrai que les plaisirs et les douleurs ne rentrent dans aucune de ces deux directions entre lesquelles, d’après M. Dumont, se partagent tous les faits de conscience, nous en concluons tout au contraire qu’ils constituent une troisième classe de phénomènes dont le caractère propre est précisément de ne pas aller du dedans au dehors, ni du dehors au dedans, mais de ne pas nous faire sortir de nous-mêmes, c’est-à-dire dont le caractère est purement subjectif ou immanent, comme dit Hamilton. D’ailleurs si tout changement, si tout passage d’une manière d être à une autre, si toute comparaison, a pour effet de mettre en saillie, d’aviver le plaisir ou la douleur, nous ne pensons pas cependant qu’il ne puisse y avoir plaisir que là où il y a changement. C’est à tout mode d’activité en lui-même, quand il ne serait suivi d’aucun autre, et non au rapport de deux phénomènes, que la sensibilité est attachée.

Mais voyons à quelle conclusion inattendue est conduit M. Dumont sur la nature même de la science dont le plaisir et la douleur sont l’objet par cette transformation de la sensation affective et un simple rapport. Ce ne sera plus une science de faits proprement dits, comme la physique, la chimie, la physiologie, la sociologie, mais une science d’un ordre plus général, plus abstrait encore, comme la mécanique rationnelle ou la dynamique, ou comme la mathématique (chap. 5, p 83). C’est ainsi qu’en perdant du pied le terrain solide de l’observation psychologique, comment en laissant de côté la conscience de l’unité vivante du moi, il arrive à substituer à l’étude du cœur humain je ne sais quel jeu de forces abstraites, à mettre la sensibilité dans tous les règnes de la nature, non-seulement dans les