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bouillier.douleur et plaisir

une autre qui assurément n’est pas moins grave. Quelle est, en effet, cette substance, ce principe de continuité qui doit servir de lien et d’indispensable support aux phénomènes du moi ? Il n’est autre, suivant M. Dumont, que Dieu lui-même, c’est-à-dire la substance unique, l’être universel. Il ne prend pas garde qu’avec un principe de continuité sans limites, l’individualité ne lui échappe pas moins qu’au sein d’une simple collection et que, s’il est impossible en effet, comme l’a bien dit M. Janet, de concevoir le moi sans une substance, il est tout aussi difficile de concevoir plusieurs moi avec une substance unique.

Nous louerons M. Dumont d’avoir signalé les équivoques des mots de sensation et de sensibilité, dont se plaignait la logique de Port-Royal, et qui abondent encore aujourd’hui dans la langue des psychologues et des physiologistes. Il les a, pour sa part, dissipées en donnant à ce mot ambigu le sens exclusif, sens net et précis, de faculté d’éprouver du plaisir et de la douleur. Ainsi entendus les phénomènes de sensibilité, dégagés de tout élément représentatif, se distinguent profondément de tous les autres phénomènes de conscience, quoique intimement mêlés avec eux ; ainsi seulement n’y aura-t-il plus de confusion des faits de l’intelligence et de ceux de la sensibilité.

Mais il ne faut pas cependant les distinguer de tous ces autres phénomènes, avec lesquels on les a confondus, jusqu’au point de leur dénier, comme le fait M. Dumont, la qualité de phénomènes réels, au même titre que les autres états de conscience. En effet, d’après quelques philosophes allemands, tels que Krug et Christian Weiss, pour lesquels la sensibilité ne serait qu’une faculté d’une réalité inférieure, il prétend que les phénomènes sensibles ne sont que de simples rapports, que des passages d’un fait à un autre. Contre Krug et Christian Weiss, contre M. Dumont, nous persistons à y voir quelque chose de plus.

La sensibilité n’est sans doute qu’un mode de cette activité qui est l’essence même de l’âme, mais il en est de même de l’intelligence et de la volonté ; toutes les facultés, par rapport à cette activité fondamentale, sont secondaires, si l’on veut, mais toutes en vertu de cette commune nature, sont au même rang, toutes n’ont ni plus ni moins de réalité les unes que les autres.

Les phénomènes de sensibilité, dit M. Dumont, ne sont pas des perceptions ou des sensations d’une espèce particulière ; ils se produisent seulement à l’occasion des sensations dont ils ne sont que l’accompagnement ou le retentissement. Telle sensation ou tel fait est agréable ; supposez que la douleur et le plaisir soient un fait s’ajoutant à un autre, il y aurait deux faits dans un seul. Enfin il n’y