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la confiance que j’avais en elle qui avait le désir et le pouvoir d’acquérir un langage arbitraire complet. Ce désir, maintenant, s’est changé en une véritable passion d’apprendre de nouveaux signes. Je dois dire que je fus grandement aidé par les jeunes institutrices de la maison, qui prirent leur tâche en amour, et se dévouèrent saintement avec patience et persévérance. De plus, je reçus du secours des jeunes filles aveugles, dont plusieurs ayant appris l’alphabet manuel, saisissaient toute occasion de s’en servir et de converser avec Laura. Par ce procédé les avantages matériels et moraux du langage commencèrent à se montrer de bonne heure. Sans ce procédé, les jeunes filles ne pouvaient manifester leur intérêt et leur affection pour Laura que comme pour un enfant, c’est-à-dire par des caresses, par des bonbons et d’autres présents, ou bien en la promenant çà et là, ou en lui rendant d’autres services. Par lui elles entraient dans le commerce de l’humanité à l’aide d’un langage régulier.

Elle continua à apprendre de la sorte, pendant une vingtaine d’années et même plus, avec rapidité d’ailleurs et succès, jusqu’à ce qu’elle eût acquis un grand vocabulaire de mots et qu’elle pût converser aisément et rapidement avec tous les sourds-muets, et toutes les personnes qui se servaient des signes qu’elle employait elle-même. Elle put lire les livres imprimés avec facilité et promptitude, et trouver par elle-même, par exemple, un chapitre ou un vers des Écritures. Elle put aussi lire les lettres de ses amis, écrites avec des épingles, ou à l’aide du système de Braille. Elle put aussi écrire ses propres pensées et ses expériences sur un journal ; elle put entretenir une correspondance avec sa famille et ses amis, en leur envoyant des lettres écrites au crayon et en recevant leurs réponses, soit en lettres écrites avec des épingles, qu’elle pouvait lire avec le toucher, soit en lettres écrites à l’encre et au crayon, et qu’elle faisait lire par quelque personne mise dans ses confidences.

C’est ainsi qu’elle arriva d’une façon heureuse à pouvoir entretenir des relations faciles et libres avec ses compagnes, et à pouvoir devenir membre de la famille humaine.

Pour faire complétement comprendre par des exemples le langage qu’elle employait dans son enfance, il faudrait un gros volume ; je me borne simplement à dire qu’elle est arrivée à une telle habileté en ce qui regarde le toucher de l’alphabet manuel, que je regrette de n’avoir pas essayé de lui apprendre à se servir de ses cordes vocales, c’est-à-dire à employer le langage régulier.

Je me propose de donner plus tard une description minutieuse de l’instruction à laquelle a été soumise cette chère enfant, et de la condition à laquelle cette instruction l’a conduite. Mais je dois me borner ici à une brève expression de la pensée et du principe qui m’ont donné le courage de commencer et la persévérance d’achever cette œuvre.

Dr Howe.

Traduit du Journal of Mental Science.