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laquelle nous faisons obéir les organes du corps aux volontés de l’esprit. Mais, comme nous ignorons par quels moyens l’esprit agit sur le corps, avons-nous le droit de conclure que l’esprit est une force réelle ? Réduits à l’expérience, nous ne savons que ceci : il y a coexistence ou suite entre les phénomènes. Inférer de là l’existence d’une liaison nécessaire, d’un pouvoir et d’une force, d’une cause enfin, c’est mal raisonner, c’est trop présumer. L’idée d’une liaison de ce genre est le fruit de l’habitude. Rien ne justifie à priori l’idée de cause, et à posteriori elle n’est qu’une habitude[1]. »

Dans l’analyse du concept de substance, Hume procède par la même méthode et arrive à la même conclusion. Que nous apprend l’expérience en ce qui concerne les objets de nos perceptions sensibles ? Que certains phénomènes, certains états se succèdent dans le sujet qu’un langage tout scholastique nomme une substance, rien de plus. Si nous relions ces phénomènes et ces états les uns aux autres de manière à en former une certaine unité, c’est affaire de pure habitude. En ce qui concerne le sujet de nos idées et de nos opérations, l’illusion n’est pas moindre ; car l’expérience intime ici encore ne nous révèle qu’une succession de phénomènes et d’états. L’esprit a conscience de ses actes, et de rien de plus. C’est encore par habitude que l’esprit confond les phénomènes et les états dont il a conscience dans la prétendue unité d’un sujet. La raison qu’on invoque au secours de l’expérience est une faculté purement logique qui tire les conséquences des faits ou des principes fournis par l’expérience. Reste l’induction dont la critique de Hume réduit les résultats à leur juste valeur, sans aller jusqu’à les contester. L’induction ne découvre ni les causes ni même les conditions des faits, mais simplement leurs lois, c’est-à-dire la constance de leur succession ou de leur concomitance. La physique n’affirme et ne peut affirmer rien autre chose. Tout mot qui exprimerait une relation quelconque de cause, de force, de condition, de fin, de substance, est un terme qui dépasse les données de l’expérience, et qu’il faut par conséquent renvoyer à la langue de la métaphysique.

De là le scepticisme de Hume, scepticisme qui lui est propre, et que n’aurait avoué ni l’empirisme de Locke, ni même le sensualisme de Condillac. Ceux-ci conservaient à peu près toutes nos idées, en les dénaturant, il est vrai, plus ou moins par l’origine qu’ils leur attribuaient. Par là, s’ils ruinaient la métaphysique, ils maintenaient intacte la science positive. De l’origine empirique de toutes nos idées,

  1. Traité de la nature humaine, l. I, p. 270 et suiv. Essais sur l’entendement humain, l. IV, V et VII.