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des habitudes qui se manifestent dans telle ou telle condition ; on n’a jamais eu l’idée cependant de soutenir qu’elle reste inconsciemment fermée alors qu’elle est ouverte. Quand il ne pleut plus, l’eau ne coule point dans les gouttières et les ruisseaux ; mais elle recommence à y couler dès qu’il pleut, c’est-à-dire dès que les conditions nécessaires sont remplies ; s’est-on jamais avisé de dire que dans l’intervalle elle n’a pas cessé de couler à l’état latent ? Gassendi a très-ingénieusement comparé l’habitude et la mémoire à un papier qui reprend facilement les plis suivant lesquels il a été plié antérieurement. « Concipi charta valeat plicarum innumerabilium, inconfusarumque et juxta suos ordines, suasque series repetendarum capax. Scilicet ubi unam seriem subtilissimarum induxerimus, superinducere licet alias, quæ primam quidem refringant transversum et in omnem obliquitatem ; sed ita tamen ut dum novæ plicæ plicarumque series superinducuntur, priores omnes non modo remaneant, verum etiam possint facili negotio excitari, redire, apparere, quatenus una plica arrepta cœteræ, quæ in eadem serie quadam quasi sponte sequuntur[1]. » Cette comparaison donne assez bien l’idée d’habitudes contractées, dont l’exercice revient avec plus de facilité, mais sans qu’aucun exercice ait lieu dans les intervalles de l’acquisition et du souvenir. On dit du reste, en parlant d’une habitude, que le pli en est pris. Mais pendant que le papier est plié d’une manière, sera-t-il juste de soutenir qu’il reste à l’état latent plié d’une autre manière ? Est-ce que les muscles de nos jambes continuent à exécuter, sans que nous en ayons ni conscience ni perception, les mouvements ordinaires de la marche, alors même que nous sommes assis ? Est-ce-que les organes de la mastication, les mâchoires et les dents, continuent à mâcher alors même que nous avons conscience de leur repos ? Est-ce que, pendant le sommeil, notre intelligence continue à fonctionner comme si nous ne dormions point ?

Dans tous les faits visibles d’organisation et d’habitude, il est facile de constater que l’organisation et l’habitude n’ont pas besoin, pour se conserver, de rester perpétuellement en exercice soit consciemment, soit inconsciemment. Après des intervalles de repos qui peuvent être très-considérables, l’habitude ou la fonction organique recommencent de nouveau à se manifester sous l’influence d’une causalité déterminée. On n’a aucune raison de supposer qu’il en est autrement pour les habitudes cérébrales dont l’observation microscopique n’a pu encore saisir le mécanisme dans tous ses détails. Non-seulement la permanence inconsciente des faits de mémoire est une

  1. Physica, sect. 3, membr. post., lib. VIII, c. 3.