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« Westminster Review, » qui leur servait d’organe, et qui, joint au « Morning Chronicle » et à « l’Examiner » faisait parmi la nation, dans les Universités, dans les Chambres, la propagande de leurs idées. À vrai dire, ce qui les préoccupait le plus alors, c’étaient les questions de réforme : James Mill battait en brèche les deux Revues des torys et des whigs, Bentham demandait une refonte de la législation ; tous s’accordaient à réclamer une nouvelle loi électorale et un nouveau système d’éducation. La philosophie proprement dite n’occupait guère alors que le second rang. Comme les autres, Grote se laissa entraîner aux vifs débats qui passionnaient l’opinion : il écrivit sur la Réforme parlementaire, fit des articles pour les Revues, concourut à fonder la libérale Université de Londres ; en 1830, il ouvrit chez Jacques Lafitte un crédit aux vainqueurs de juillet ; lui-même enfin se fit nommer député de la Cité. Jusqu’en 1841 il vécut de la vie publique et fut un «radical » militant.

L’heure vint enfin du recueillement, de la solitude, de la réflexion : Grote se remit au travail. La première œuvre qu’il entreprit est celle qui a illustré son nom : « l’Histoire grecque. » À peine est-il besoin de dire que ce livre est celui d’un philosophe. Depuis les premiers chapitres, exégèse savante et fine de la mythologie antique, jusqu’aux dernières pages qui s’arrêtent à Alexandre, Grote n’a qu’un souci : expliquer la civilisation des Hellènes. Comme James Mill qui a offert dans son Histoire des Indes le modèle de l’école, comme Thomas Buckle, le dernier et le plus brillant peut-être des disciples qu’elle a formés, Grote cherche surtout dans l’histoire les progrès dus à l’intelligence, à la science, seuls agents qu’il reconnaisse efficaces et salutaires dans le monde. De là cette complaisance avec laquelle il s’étend sur la philosophie et la littérature de la Grèce : de là cette insistance qu’il met à marquer, étape par étape, le chemin parcouru depuis Homère et les Ioniens jusqu’à Aristote. Aussi bien le génie grec lui apparaît comme l’artisan même de la science philosophique par excellence, l’analyse de l’esprit : il voit dans les Eléates, dans les sophistes, dans Platon, les précurseurs lointains de ses propres maîtres ; et souvent, en son ouvrage, il ne semble préoccupé que de marquer avec rigueur les origines de la tradition philosophique à laquelle il appartient. Cela est si vrai que, « l’Histoire grecque » à peine finie, il a cru devoir lui joindre, comme des appendices naturels, ses deux livres sur Platon et Aristote.

Par ces deux noms, Grote est de plus en plus ramené aux études de sa jeunesse. De bonne heure, il y avait eu chez lui des réunions où l’on faisait la lecture de Hartley, de Priestley et de Mill ; et depuis, il n’avait jamais renoncé à ces sujets. Assez jeune encore, il esquissait un traité de logique : quand Stuart Mill fit le sien, il porta à cette œuvre le plus grand intérêt. La lecture de Locke, de Hume, de Kant, ne fit que le confirmer dans ses préférences pour la psychologie mentale ; et son esprit était tellement prévenu en faveur de ce genre de recherches, qu’il les retrouvait partout, jusque dans la métaphysique de Parménide, jusque dans la rhétorique des sophistes. Il parait certain, en revanche,