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analyses.stadler. Téléologie de Kant

formes à priori du temps et de l’espace, à l’unité des Intuitions (Anschauungen) sensibles ; et, dans les lois des phénomènes, il ne découvre que l’ordre, dont il porte en lui-même le principe, et dont il édicte à priori les règles inflexibles (catégories). La pensée ne sort jamais d’elle-même, soit qu’elle se borne à rattacher à l’unité fragile de la « conscience empirique » la diversité confuse des impressions sensibles, soit qu’elle coordonne les sensations en les soumettant aux catégories, créées par l’Entendement lui-même. Le dernier mot du système est donc l’idéalisme : mais un idéalisme qui fait profession d’ignorer à la fois l’essence de l’âme comme celle du corps. — L’auteur s’attache à prouver que la conception de la « Chose en soi » ou du « Noumène, » qui couronne l’analytique, n’est pas, comme Kuno Fischer le prétend, une conception contradictoire. Elle doit être considérée comme la plus haute catégorie de l’Entendement, qui prend conscience en elle de ses limites et de sa nature essentiellement subjective. On ne peut qu’accuser le langage, et non la pensée de Kant, des contradictions qu’on a reprochées à la théorie du noumène. Cette petite discussion, qui a incontestablement le mérite d’analyser finement le concept kantien du Noumène, nous paraît d’ailleurs assez étrangère à l’objet du livre de M. Stadler.

Avec la deuxième partie commence réellement l’étude de la téléologie de Kant. M. Stadler se sert surtout, pour éclairer le langage, les divisions et aussi les idées de son auteur, de l’Introduction à la Critique du Jugement (1791), et du petit opuscule qui la suit à quatre ans environ de distance : De la philosophie en général. (Ueber Philosophie überhaupt, zur Einleitung in die Kritik der Urtheilskraft, 1794). — Kant distingue d’ordinaire trois espèces de jugement, comme il a distingué trois facultés dans la connaissance : le jugement théorique, le jugement esthétique et le jugement pratique (voir Bona Meyer, dont M. Stadler cite et met à profit le travail si estimé sur la psychologie de Kant). Mais le mot jugement prend, dans la Critique du Jugement, un sens tout spécial, et ne se dit plus que des jugements, par lesquels l’esprit réfléchit sur la nature des objets (reflectirend Urtheil), tandis que les jugements portés par l’Entendement prononcent catégoriquement sur la réalité des choses (bestimmend.) Par les premiers, l’esprit applique à un cas particulier une règle déjà connue : ainsi l’Entendement soumet aux catégories les faits donnés par les sens. Les seconds résultent d’un travail de la réflexion, qui cherche une loi générale, à laquelle puisse se ramener le fait particulier. — Les « jugements de la réflexion » (Reftexionsurtheile) se divisent à leur tour en jugements théoriques et en jugements esthétiques : d’où la division connue de la Critique du Jugement.

L’auteur croit, à l’encontre d’Uberweg et de K. Fischer, que la réduction des deux formes des jugements de la réflexion à une même et seule faculté est une maladresse de Kant, et qu’elle a contribué à égarer les interprètes sur le véritable objet que le philosophe s’y propose. Tandis