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les travaux de tant d’autres penseurs illustres, de pures réfutations d’erreurs qui écartent les obstacles opposés à la saine philosophie. On y trouve cela et plus encore ; toutes trois sont destinées à occuper à jamais une place parmi les vérités positives. Voici ces découvertes :

1. La doctrine des perceptions acquises de la vue : la partie la plus importante de ce dont nos yeux nous informent, en particulier l’extériorité, la distance et la grandeur, ne sont pas des perceptions directes du sens de la vue, mais des jugements et des conclusions rapidement obtenues par interprétation de signes naturels ; et ce n’est ni l’instinct ni la raison qui nous apprennent la signification de ces signes, c’est l’expérience.

2. La non-existence d’idées abstraites : toutes les notions générales ou de classes au moyen desquelles nous pensons ou raisonnons, sont en réalité, que nous le sachions ou non, des idées concrètes d’objets individuels.

3. La nature et le sens vrais de l’extériorité que nous attribuons aux objets de nos sens : l’extériorité ne consiste pas en un substrat qui supporte un système de qualités sensibles, quelque chose d’inconnu, qui, sans être lui-même une sensation, nous donne nos sensations ; l’extériorité consiste en ce que nos sensations se présentent en groupes, unis par une loi permanente, qui vont et viennent indépendamment de nos volontés ou de nos actes mentaux.

La première de ces trois doctrines fut la première grande victoire de la psychologie analytique sur les apparences primitives qu’on décore dans certains systèmes du nom de croyances naturelles ; elle fournit à la fois un modèle et un exemple aux analystes qui suivirent.

La seconde redressa une erreur qui répandait l’obscurité sur la théorie des plus hautes opérations de l’intelligence, et rendait impossible tout progrès réel de l’analyse de ces opérations, tant que l’erreur n’avait pas été dissipée. Les conceptualistes barraient la route de la philosophie, comme à une époque antérieure l’avaient fait les réalistes. Berkeley les réfuta, et en adoptant ce qu’il y a de vrai dans les doctrines du nominalisme, il posa les fondements d’une théorie de l’action de l’esprit dans le raisonnement général, dépassant de beaucoup tout ce que les nominalistes avaient fait dans ce genre.

Troisièmement, enfin, les travaux de Berkeley touchant l’idée du monde extérieur, outre leur importance psychologique, à titre d’analyse de la perception, constituent la leçon la plus mémorable qu’on eût encore donnée aux hommes pour leur faire acquérir le grand avantage intellectuel de ne pas croire sans preuve. Depuis ce moment, les penseurs possèdent un nouveau canon de croyance,