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Si on admet cette opinion en ce qui concerne les sentiments, comme les actes intellectuels et les désirs se rapportent nécessairement à quelque chose, il s’ensuit que ce caractère « d’existence intentionnelle » ainsi que l’appelle l’auteur, empruntant ce terme à la langue des scolastiques, se rencontre dans toute l’activité psychique et en constitue le trait fondamental. « Tout phénomène psychique se rapporte à un objet ; en dehors de lui, il n’existe rien de semblable. »

Ce point établi, l’auteur passe à l’étude de la conscience en général et il entreprend contre « l’insconscient » une campagne qui n’est pas toujours heureuse. Il est certain qu’on n’a jamais tant abusé de ce mot que de nos jours : il explique tout ; c’est une clef qui ouvre toutes les serrures. M. Brentano paraît surtout diriger ses attaques contre la Philosophie de l’inconscient de Hartmann, et « l’arbitraire de ses spéculations à priori » dont il fait une longue critique. Mais l’abus qu’on fait de ce terme n’autorise pas à le proscrire.

Brentano expose et discute quatre hypothèses qui, selon lui, peuvent être faites en faveur d’une activité inconsciente de l’âme, et il les rejette « parce qu’une conscience inconsciente n’est pas possible. » En fait, c’est mal poser la question. Il est clair qu’une « conscience inconsciente » serait une hypothèse absurde. Aussi le problème est tout autre. La conscience, ce point est indiscutable, varie en intensité et peut descendre jusqu’à un minimum à peine perceptible, imperceptible. Quelle différence entre le conscient et l’inconscient ? est-elle une différence de nature ou de degré ? Il est impossible, en s’appuyant sur les faits seuls, de justifier l’une ou l’autre solution. Il semble seulement que la différence de degré est plus probable ; parce qu’il semble contraire à l’expérience et à la logique de tirer entre le conscient et l’inconscient une ligne de démarcation nette.

Sur ce point, la méthode physiologique dédaignée par l’auteur se venge de lui. La perception intérieure ne connaît que son domaine et n’en sort pas ; mais ce n’est pas une preuve qu’elle connaît tout ce qu’elle doit connaître. Réduite à des données incomplètes et restreintes, elle prend des phénomènes pour des réalités. La méthode physiologique au contraire s’appliquant nécessairement à des faits tels que l’action réflexe, l’habitude, l’automatisme montre mieux comment le conscient et l’inconscient se pénètrent, combien il est illusoire de les séparer, combien il est téméraire, au mépris de la nature des choses, de mettre d’un côté le physiologique (inconscient), de l’autre le psychologique (conscient) pour opposer l’un à l’autre absolument.

M. Brentano continue son étude sur la conscience, en examinant la question de son unité et en discutant les objections élevées par Ludwig et Lange. — Le premier, dans sa Physiologie de l’homme, se fondant sur diverses considérations physiologiques, entre autres sur l’identité de nature des nerfs moteurs et des nerfs sensitifs, soutient « que ce qu’on nomme l’âme est une production (Gebilde) très-compliquée dont les diverses parties sont entre elles en un rapport si intime que les