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dant, dit justement M. Lemoine, qu’un paralogisme où l’on prend la cause pour l’effet. La répétition de l’action est-elle l’origine de l’habitude, ou l’habitude le primum movens de la répétition ? La plupart des psychologues adoptent tour à tour et indifféremment l’une et l’autre proposition, sans s’apercevoir qu’ils tournent dans un cercle vicieux. Il faut choisir, ce qui sera aisé, si nous distinguons les actes habituels d’avec l’habitude elle-même. Les actes habituels ont pour caractère de se répéter fréquemment : mais qu’est-ce qui les fait se répéter ? C’est évidemment l’habitude déjà contractée avant toute répétition et par suite dans et par un premier acte qui communique au second, puis au troisième, puis à un nombre indéfini, une facilité toujours plus grande de reproduction. Cette conclusion est inévitable : si le premier mouvement n’a pas la vertu de préparer, de susciter, de faciliter les suivants, le second ne l’aura pas davantage, aucun ne l’aura et l’habitude ne naîtra jamais. Si au contraire le premier a cette vertu, le second et les subséquents l’auront aussi et l’on comprendra comment l’habitude naît du seul exercice de l’activité et se fortifie par cet exercice même : on comprendra également que l’intensité d’une première impression puisse équivaloir à la fréquence de la répétition. Un mot qui nous aura frappé fortement pourra rester à jamais gravé dans notre mémoire.

Le caractère principal auquel on reconnaît les actes habituels n’en reste pas moins la facilité, le penchant que nous acquérons à faire ce que nous avons pratiqué. Les Écossais qui ont trop aimé à se reposer dans une complaisante énumération de faits soi-disant premiers, avaient constaté ce penchant en renonçant à l’expliquer. M. Lemoine ne se contente pas de ces fins de non-recevoir qui simplifient vraiment outre mesure le travail de la pensée philosophique. Il ne croit pas que l’habitude soit un fait tellement irréductible qu’on ne puisse le ramener à un fait plus général, à savoir : la vie. « La loi universelle et le caractère fondamental, non de tout être, comme on l’a dit, mais seulement des êtres qui ne vivent pas, est la tendance à persister dans leur manière d’être. » Dans le monde des corps bruts, il n’y a donc aucune place, l’expérience en fait foi, pour l’habitude qui est un principe de différenciation. Au contraire, « le propre du vivant, de la plante qui végète ou de l’esprit qui pense est de tendre au changement, et de se développer sans cesse. Il semble que le temps cesse de couler pour le cristal et qu’il s’immobilise comme lui. Il ne s’arrête jamais pour le vivant et la vie marche avec la durée. » Avec la vie apparaît l’habitude et ces deux choses sont si étroitement liées que le progrès de l’une correspond au développement de l’autre. La culture ou l’acclimatation des plantes est déjà un art de leur faire contracter certaines habitudes, qui sont tantôt l’œuvre de la nature, tantôt celle de l’homme. Bien mieux, « il semble que la vie elle-même soit une acclimatation naturelle. » Élevons-nous dans l’échelle des êtres et nous voyons l’habitude jouer un rôle de plus en plus prépondérant. Or si nous observons, « qu’agir accroît la force d’agir dans son fond et dans sa forme présente, dans sa quantité et à la