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semble de son développement à produire cet heureux effet ? Certes on ne peut méconnaître ce qu’une pareille composition, dans de pareilles dimensions, exige de savoir étendu et varié, de faculté d’assimilation, de sûreté de choix et de discernement, d’habileté pour fondre ensemble un si grand nombre de matériaux et les faire concourir au même but. Le talent de l’écrivain n’est pas moins nécessaire pour donner de la clarté, de la vie et de la couleur à chaque partie du sujet comme à l’ensemble. Nous ne refusons à M. Carrière aucune de ces qualités et de ces conditions. Et ce qui prouve qu’on aurait tort de les lui contester c’est le succès de son livre. Il est impossible pourtant qu’il n’y ait pas beaucoup de critiques à lui faire. Nous ne lui en ferons qu’une ; c’est d’oublier quelquefois un peu trop son rôle, le caractère et la portée de son entreprise. En somme, ce livre, malgré tous ses mérites, ne contient aucune vue propre et personnelle, rien même qui mette sur la voie d’une nouvelle découverte. Et cela je le dis des détails comme de l’ensemble. À de pareils ouvrages il ne faut pas attribuer, dans la science, le caractère et le rang auxquels ils ne peuvent prétendre, et qui n’appartiennent qu’aux œuvres originales des véritables penseurs. L’auteur est un esprit philosophique très-cultivé, d’un savoir étendu et varié, un écrivain élégant, quelquefois même éloquent ; mais il ne peut être rangé parmi les philosophes au sens propre du mot. Ne pas se contenter d’être ce que l’on est, serait donner prise aux critiques que nous avons voulu écarter.


IV


Quand une science, quoique jeune, a parcouru une assez longue carrière, marquée par des travaux nombreux et importants, que les esprits les plus divers et parmi eux des hommes de génie, ont fait les plus grands efforts pour résoudre ses difficiles problèmes, et qu’ils n’y sont pas parvenus d’une manière satisfaisante, alors l’esprit comme épuisé s’arrête. Avant de continuer sa route, il cherche à reprendre haleine. Il se replie sur lui-même, se recueille et interroge son passé. Il veut se rendre compte de ce qu’il a fait et de ce qui lui reste à faire. Il se demande si, parmi tous les moyens qu’il peut employer, il n’en est pas un qu’il n’a pas encore tenté et qui s’ajoutant aux autres lui permettrait d’atteindre son but. Il sent aussi le besoin de faire l’inventaire de ce qu’il a amassé, de compter ses trésors et de les rassembler ; il se met à poser de nouveau les