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Quoi qu’il en soit, tel est à la fois le caractère et le vice radical de l’esthétique de Schopenhauer. Lui, s’arrête dans la négation. Le néant de la vie, tel est le but de l’art.

Ce vice radical qui s’accuse au début et dans la théorie générale, se reproduit dans l’art sous toutes ses formes et à tous ses degrés. Au point culminant, l’art tragique, l’art par excellence, il est manifeste. Ici, dans l’art dramatique, ce qui est mis sous les yeux, c’est le spectacle de notre destinée, de la raison ou de la volonté avec ses projets détruits et renversés, ses infortunes ou ses folies, la vanité de ses efforts, en un mot le néant des choses humaines. Nous nous bornons à marquer les traits principaux de cette théorie.

Malgré son défaut capital, l’esthétique de Schopenhauer n’offre pas moins les mérites que nous avons signalés. Il est vrai que si l’on restituait à Kant et à Platon, et aussi à Fichte, à Schelling, à Hegel, à tous ces hommes qui sont traités partout de fourbes, de charlatans et d’extravagants, ce qui leur appartient, il resterait beaucoup moins qu’on ne croit, à ce penseur original, du fond de ses théories ; mais la forme ici et les détails ne sont pas moins précieux. Les analyses et les descriptions conservent leur intérêt. Les explications ingénieuses, quoique paradoxales, des faits déjà connus, peuvent mettre d’autres sur la voie. Au point de vue où se place souvent l’auteur, le point de vue physiologique, ses vues, ses hypothèses, même les plus hasardées, ses théories étranges comme celle de l’amour physique, ses observations souvent très-justes sur l’imagination, le génie, etc., enfin ses remarques fines, ses mots spirituels, ses critiques d’une grande sagacité quoique injustes ou exagérées, tout cela forme un ensemble qui est loin d’être à dédaigner, pour celui qui tient à recueillir tous les travaux utiles à cette science, et à constater tous ses progrès. Si l’on interroge à leur tour les disciples, on trouvera chez le plus distingué et le plus célèbre de tous, chez Hartmann, le philosophe de l’inconscient, des détails fort curieux et très-intéressants sur les phénomènes qui rentrent dans son sujet, tels que l’inspiration, l’enthousiasme, le génie, etc. L’esthétique s’est enrichie de tous ces matériaux. Il faut savoir gré au disciple moins indépendant, qui s’est donné pour mission de commenter et de propager plutôt que de féconder la doctrine du maître, J. Frauenstädt, de s’être occupé aussi spécialement de ces questions, et de les avoir agitées quoique d’une façon moins originale.

Le Positivisme, qui a eu ses principaux représentants en France et en Angleterre, a aussi fait des progrès en Allemagne ; il y compte de nombreux adhérents. Il est en faveur surtout parmi les savants ennemis de la spéculation et qui proclament l’expérience sensible